lundi 22 décembre 2008

chiffres / didier saco


1 milliard d’euros de sanction pour siemens, des milliards de dollars extorqués par bernard madoff, 3 000 suppressions d’emplois annoncés par electrolux, -8.7% en novembre pour la production industrielle russe, 300 à 400 emplois créés par les galeries en ouvrant le dimanche, -25.8% de ventes de voitures en novembre en europe, 2 fois plus de factures impayées en france en 6 mois, 65 milliards de dollars nécessaires en afrique pour la maîtrise de l’eau, 3 milliards de dollars de soutien international obtenus par l’autorité palestinienne et 08, 1/3 de la population mondiale vit avec moins d’1 dollar par jour, …

depuis 6 mois, depuis 1 an, le chiffre est devenu le vecteur premier de toute communication et est même passé en mode “frénétique”
chaque jour, nous recevons de nouveaux chiffres, de nouveaux taux, de nouveaux calculs, de nouvelles évalutions qui s’accumulent à ceux de la veille, s’enchaînent, se complètent, parfois se contredisent et finissent par former un tel conglomérat, une telle densité que le chiffre en perd de son sens précis, concret et devient une masse, une idée, un concept détaché du réel

cette frénésie du chiffre, qui est devenu le démarreur premier de toute action, toute réflexion, toute stratégie l’est tout autant chez nos clients / réduction de budget, réduction d’engagements, réduction des parts de risques, 2 semaines pour concevoir un logo et 4 pour un site, la conception d’une annonce presse ½ format 2 fois moins chère qu’une page entière, 0 rémunération pour les compétitions et le moins disant comme principal critère de sélection

nous n’échappons pas à cette frénésie, et nous aussi en sommes acteurs : 3, 4 ou 5 ans d’études requis pour intégrer nos agences, calcul des heures supplémentaires le code du travail à la main, frais techniques à l’a4 près / combien l’a3, combien l’a4 et combien l’aller retour

toute cette actualité, mondiale, oppressante et astreignante n’est pas encline au rêve, à l’idée et à la morale

bien sûr, le design est efficience, et les entreprises qui investissent en design savent bien que la plus-value apportée par le design est conséquente, s’inscrit dans leurs bilans et fait partie de leurs acquis

nul d’entre nous n’a le pouvoir d’inverser cette frénésie funeste qui consiste à analyser les événements uniquement sur leurs aspects quantitatifs / ce que nous pouvons, en revanche, c’est l’intégrer dans nos process de création et de développement / c’est savoir que tous nos projets sont, chaque jour davantage, jaugés, pesés, estimés et retenus / ou rejettés / d’abord sous cette aune / combien, et non pourquoi

en revanche, chacun d’entre nous a la possibilité d’ouvrir ses présentations, son agence, ses réseaux chaque jour d’abord sous l’angle quali, avant l’angle quanti : quelles innovations pour le bien-être de mon équipe, pour le confort de mes usagers, pour la lutte contre la pauvreté, pour la planète / une étape

8 nouvelles / zoé valdès, björn larsson, taslima nasreen, moussa konaté, vénus khoury-ghata, philippe besson, simonetta greggio et alain mabnackou / calmann-lévy / une merveille

et, sans lien aucun, except la merveille : l’installation de damien ortega, champ de vision au centre pompidou / paris jusqu’au 9 02 09

lundi 15 décembre 2008

briefs / didier saco


rendez-vous annuel attendu, comme la fiac, l’observeur du design à la villette et le festival d’automne à paris : l’édition 08/09 de design in europe vient de paraître

depuis 4 ans, design in europe est un guide de référencement d’agences de design européennes et d’analyses sur les acteurs, les aleas et les perspectives du design
cette année, l’approche éditoriale retenue est l’étude de cas, où l’analyse commence par le brief du client

soit 40 briefs, du plus courant au plus prospectif, et segmentés en 5 familles : instaurer / restaurer la marque, créer des expériences de la marque, création de la marque, l’extension de la marque et l’innovation dans la marque
40 agences de design, 40 briefs, 40 stratégies et 40 créations

pour gérard caron, “le brief est la voute de la relation de la marque, et il ne peut y avoir de bon design à partir d’un brief incomplet ou inadapté”, dont la durée moyenne, pour gage de performance, doit se situer entre deux et trois heures, précédées de la visite des points de vente, des ateliers, ou des unités de production

chacun d’entre nous, qu’il soit designer, responsable de marque ou appelé à initier une commande qui fasse appel à des talents aussi divers et multiples que l’expertise, l’imaginaire, la précision et le profit, peut entamer un récit à multes rebonds sur ses expériences, ses déconvenues et les analyses qu’il en a tirées

le brief idéal n’existe pas, tout comme il n’y a pas de recette pour rencontrer l’homme ou la femme de sa vie / chacun sait bien que la raison n’a pas toujours raison, et que la manière de croiser les jambes, de parler de sa mère ou de hausser les épaules peuvent avoir un impact déterminant sur les soixante prochaines années de votre vie, bien plus que des études communes, des goûts partagés ou des mensurations idéales

il en est de même du brief
- le brief peut être simple ; très souvent, il fait état de l’état de la marque, de son marché et de ses projets / c’est le bon sens, et le bon sens est souvent ennuyeux
- le brief peut être riche, et aucun ne le sera jamais assez : rédiger un brief est un exercice très difficile car il nécessite un esprit tout autant de synthèse que prospectif, d’autant que nul ne sait qui le lira, et son objectif premier est d’ouvrir
- le brief peut être malin / savoir ne pas dire afin de permettre tous les possibles / la condition nécessaire est de pouvoir, ensuite, les entendre

le brief doit surtout s’inscrire dans le temps, et le temps est élastique, variable et fluctuant, et c’est là toute la nécessité du brief : pouvoir savoir s’adapter à des équipes, à des méthodes de travail, à des manières de fonctionner et, bien sûr, à des aléas économiques, de personnes et de perception des projets

chacun d’entre nous a vu des projets modifiés suite aux réponses reçues, tout comme chacun a vu des projets s’interrompre, changer d’axe ou durer des années alors qu’ils étaient prévus pour 6 mois
et chacun sait que la lecture et l’interprétation d’un brief sont aussi difficiles que sa rédaction

si, pour gérard caron, l’espace temps est nécessaire, l’espace énergie consacré au brief l’est tout autant
et si, bien sûr, souvent, les briefs sont des maux nécessaires, des contraintes pour la marque face aux appels d’offre et aux obligations entraînées, ce sont ces pires contraintes qui amènent les pires réponses avec lesquelles la marque va “devoir faire avec”

l’activité humaine a besoin de l’énergie humaine pour bien faire, et c’est certainement avec l’incarnation et l’implication de chacun, celui qui rédige le brief et celui qui y répond, que la face du monde, celle qui initie tous nos projets design peut basculer et le brief devenir efficient
le temps des mots choisis, le temps de l’écoute, le temps du temps nécessaire aux idées de se développer et aux équipes de les faire leurs, le temps des contraintes et des impossibles, et le temps des recherches, des erreurs, des mises au point, des loins et de tous les possibles

design in europe 08/09 / pyramyd ntcv / 24.50 euros

Kansei / anne-marie builles


L’esprit kansei habite la matière pour 10 jours seulement au Musée des Arts Décoratifs jusqu’ au dimanche 21 décembre.
L’exposition Kansei a pour ambition de révéler la dimension sensible du design japonais, une tradition de valeurs qui défie le temps et les conventions et tient indissolublement liés esprit et matière, par l’expression « hyojo », par le geste « dosa », et par le cœur « kokoro ».

Hyojo, des valeurs kansei qui habitent l’expression, une lumière intérieure qui affleure à la surface des choses, motifs et grain des matières, jeux d’ombre et lumière, flou et imperceptible, nulle présence excessive, une allure, des valeurs en clair obscur qui nous fascinent, nous occidentaux qui sommes toujours à recherche d’une clarté plus vive.

Dosa, des valeurs kansei qui habitent le geste du créateur de l’objet vers celui qui l’utilisera, une économie de moyens au plus proche de l’intention et de la réalité de la matière, aménager l’espace, fléchir, plier, la ligne pure et fluide d’une fonctionnalité juste et précise jusque dans ses ultimes détails.

Kokoro, les valeurs kansei qui habitent le cœur de l’homme, suscitent « l’accueil », une simple et pure gratitude vers des objets amis qui se veulent légers et essentiels à l’usage.
Aucune des valeurs du kansei ne jouent de l’émotionnel, elles n’aspirent qu’à l’essentiel, une suprême réalité : produire des objets simples dont la présence et le raffinement se donnent autant à découvrir qu’à méditer.

lundi 1 décembre 2008

pub et design / vaste monde / didier saco


à l’heure où les espaces publicitaires sont réduits, en france, par autorité, sur les tv et les radios, la récession amène les industriels à réduire, réflexe pavlovien familier, leurs investissements et les premiers ciblés, voire touchés, sont ceux de la communication et de l’innovation

la communication est un pan important de l’économie : elle pèse 1 500 milliards de dollars sur le plan mondial et presque 33 milliards d’euros en france

c’est aussi un secteur en totale mutation : il y a 5 ans, les choses étaient assez simples ; il y avait la tv, l’affichage, la presse, la radio et le cinéma, auxquels s’ajoutaient, pour agir sur le comportement et faire acheter, des techniques plus directes : la promo, la distribution de prospectus et des coupons de reduction
et l’arrivée des media interactifs découlant d’internet a bouleversé le paysage et la profession a dù, de force, passer d’une logique cartésienne, classique, à une logique “systémique”, où tout est mélangé

les objectifs des industriels se sont aussi déplacés, en s’orientant davantage vers les publics financiers qui privilégient la vision de rentabilité à court terme / 15% par an, au détriment souvent des liens avec leurs clients

la pub a donc privilégié la communication, dite corporate, institutionnelle et axée sur l’image de la marque plutôt que sur la publicité, moins glam et axée autour du produit

les mêmes contraintes et les mêmes périls pèsent sur l’innovation et sur le design, car les mêmes décisionnaires appliquent souvent les mêmes méthodes

l’exemplarité du design dans la dynamique de l’entreprise n’est plus un débat et, si le design a dépassé depuis des années la case déco pour être pleinement reconnu comme un des acteurs déterminants du développement des industries, il reste encore des réticients qui le réduisent à des parcs-machines ou à des animations récréatives de fin de réunions de conseils d’administration

les produits que nous concevons sont indissociables de la marque qui les initie / ils en sont même les fondamentaux, et le stylo, le ruban adhésif, le vélo à moteur et le téléphone portable portent plus bic, scotch, vélosolex et apple que l’inverse

bien sûr, le design prend du temps, et ce temps nécessite sa rétribution / le temps des consultations, du développement des projets, des réunions de suivi, et la rémunération des droits d’auteur
c’est le temps du projet, le temps du prototype, le temps des essais et le temps des convictions / ce temps est aussi celui de l’innovation, indissociable à tout management pertinent et prospectif

no pub / le jour où la pub s’est arrêtée / luc laurentin et thierry piérard
eyrolles / 18.00 euros

Nous sommes tous designers à présent / am builles


Dans son avant propos de « Regards sur le monde actuel », (1933) Paul Valéry déclarait
« Toute la terre habitable a été reconnue, relevée et partagée, l’ère de la libre expansion est close, le temps du monde fini commence. Il ouvre le champ d’une solidarité toute nouvelle, excessive et instantanée entre les régions et les évènements, une dépendance de plus en plus étroite des agissements humains.
De plus en plus effectivement, tout s’est relié de façon excessive, l’expansion des nouvelles technologies et des systèmes complexes qu’elles ont engendrés sur nos échanges et leur flux, ne nous laisse plus rien ignorer de ce qui se passe et s’entrechoque ici et là-bas.
Cette prise directe sur le monde global, cet envahissement des systèmes complexes nous font prendre enfin conscience des solidarités qui nous lient, des conséquences de nos actes et de nos décisions sur notre environnement. Nous ne pouvons plus laisser penser que ce monde fini échappe à notre contrôle, nous avons la responsabilité de le rendre durable.
Pour John Thakara, commissaire de City Eco Lab à la biennale de Saint-Etienne,
le design nous donne les moyen de redonner forme et sens à cette complexité, processus d’information, de mesure, d’échange et de retour d’informations permanent, le design nous guide dans la réappropriation de certaines pratiques économiques et sociales tenues un temps éloignées sous l’emprise du progrès et de la modernité.

Il nous donne à penser la pratique du design non comme un travail définitivement abouti mais comme autant de petits pas de cotés qui aident les individus à agir plus intelligemment et de façon plus réfléchie.

« Designers,
Concevez un moyen de surveiller les systèmes naturels et industriels qui vous environnent et faites les connaître autour de vous,
Concevez un moyen de faire circuler, en circuit fermé et dans votre environnement immédiat, les flux de matière et d’énergie,
Concevez les choses en étroite collaboration plutôt qu’en échanges interminables afin de les faire coller au plus prés des situations de la vie quotidienne,
Concevez des liens entre vous et de nouvelles personnes, de nouveaux savoirs et des disciplines nouvelles,
Concevez de nouvelles manières de collaborer et de réaliser des projets,
Et, quoi que vous fassiez, n’essayez pas de le faire seul.
Nous sommes tous designers à présent ».