mardi 26 mai 2009

Duplicata / Anne-Marie Builles


Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »
La société du spectacle de Guy Debord est parue en 1967, cinquante ans …. toujours plus d’actualité.

En introduction, Guy Debord cite ce propos de Feuerbach :
« Et sans doute notre temps…. préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être…. ».
Ne pas préférer l’image à la chose, voilà un propos qui doit résonner dans
la pratique du designer
Dans sa dernière et excellente émission « Métropolitains », François Chaslin cite largement Debord à propos de l’exportation des stations Art Nouveau Guimard par la RATP : une station Guimard échangée contre une copie d’une station d’artiste étranger importée en France (Russie, Chicago, Mexico, Portugal).

A ce rythme-là , il y aura du Guimard de contrefaçon partout dans le monde, note plaisamment François Chaslin, : « cette initiative ne contribue pas à l’enrichissement du monde mais bien à son appauvrissement et à son nivellement ».
Et de citer un article de la Charte internationale, dite de Venise relative à la conservation des monuments et des sites : « Le monument est inséparable de l’histoire dont il est le témoin et du milieu dans lequel il se situe ».
«Des duplicata partout, dans toutes les villes du monde, mêmes mobiliers urbains, mêmes nourritures, mêmes mœurs, mêmes montres… »
Comment s’y retrouver ?

Laissons à la société du spectacle Guy Debord le dernier mot.
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles.
Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie.

La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale
en tant que pseudo monde à part. Objet de la seule contemplation, la spécialisation des images du monde se retrouve accomplie dans le monde de l’image autonomisée où le mensonger s’est menti à lui-même.

Le spectacle en général comme inversion concrète de la vie est le mouvement autonome du non-vivant. Le spectacle compris dans sa totalité est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant.
Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée, il est le cœur de l’irréalisme de la société réelle.
Sous toutes ses formes particulières, information, propagande, publicité ou consommation directe de divertissement, le spectacle constitue le modèle présent de la vie sociale non-dominante.
Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production et sa consommation corollaire.
« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »

Métropolitains magazine hebdomadaire sur l’architecture et la ville, de François Chaslin ( à podcaster absolument !!)

lundi 18 mai 2009

le grand paris, la fin des barrières / didier saco


le 17 mars dernier, 10 équipes internationales ont présenté le fruit de leurs recherches de 7 mois sur le thême : l’avenir de la métropole parisienne

la première barrière à fondre : les 10 équipes, animées par un architecte, se sont constituées à leur convenance et entourées des compétences et des expertises qu’elles ont choisies
ce montage dépasse la tradition française de confier ce type d’études aux seuls ingénieurs et sociologues, et a permis aux équipes de réfléchir bien au-delà de l’occupation de sols franciliens

le résultat est exceptionnel
au delà des thêmes attendus / écologie, énergie, transport, équilibres sociaux auxquels chaque équipe apporte des réponses différentes et pertinentes / ce sont les thêmes vitaux et essentiels, autant à chacun qu’à la société qui sont travaillés / la solidarité, l’ambition, la culture, la durée de vie et l’accès à tout pour chacun

5 thêmes majeurs se détachent des 10 projets :
le faire métropole, le concept de la métropole douce, le passage vers un urbanisme de mutation, d’adaptation et de recyclage, le lien nécessaire et la nature, partenaire premier de la métropole

et 14 propositions, parmi lesquelles la seine est mise en majesté comme axe essentiel, le pavillon qui devient ciment de la métropole, l’axe vers la mer, telles de nombreuses métroples, la forêt essentielle, une demi-heure de trajet en moins, le périphérique support culturel, la gare et son projet européen, l’axe paris / bruxelles / lyon, la production d’énergie localement et le souci de la proximité de tous à tout

à la lecture des contributions des 10 équipes et des installations de l’exposition, se dégage une formidable volonté de mettre la métropole en mouvement, sans aucun désir de nier l’existant mais tout au contraire en le comprenant, le développant et le stimulant


la seconde barrière qui a fondu est la disparition de l’ego
si d’aucuns se souviennent / et frémissent / des projets de le corbusier pour le centre de paris, de fernand braudel et de paul delouvrier, les projets présentés sont des travaux collectifs et, même si certains sont portés par des personnalités, le sens qu’ils portent est celui du travail commun pour la communauté


la troisième barrière qui a disparu est la nature même de la demande : il s’agit d’un appel à projets très explicite : “de nature à éclairer une décision” et non d’un appel d’offres
ce qui signifie que tous les travaux présentés sont possibles /
pas de gagnant, et la réflexion totalement ouverte pour le développé des projets
se dégage tout autant une nouvelle méthode de travail / des ponts se sont construits entre les équipes, à travers les thêmes et les approches et ce que sera demain la suite donnée à cette formidable énergie sera synthèse et collectif

historique / et populaire

no limit / pierre alain trévelo / étude prospective de l’insertion urbaine du périphérique de paris / éditions du pavillon de l’arsenal / 18.00 euros

amc / le grand pari/s / consultation internationale sur l’avenir de la métropole parisienne / 29.00 euros

exposition au musée de la cité de l’architecture et du patrimoine paris 8 jusqu’au 22 11 09 / entrée libre

mardi 12 mai 2009

la flèche à suivre / l’éloge du temps / didier saco


arne naess cite les frères karamazov : “aimez toutes les œuvres de la nature, l’ensemble tout entier et le moindre grain de sable
aimez la moindre feuille d’arbre, le moindre rayon de soleil, aimez les animaux, aimez les plantes, aimez la moindre chose car tout est comme un océan, tout s’écoule et se touche, on frôle un endroit et l’écho résonne à l’autre bout du monde”

arne naess est norvégien, philosophe et figure historique du mouvement de la deep ecology fondé dans les années 1970
les grands principes de sa philosophie environnementale sont les bases d’une société où les besoins et les désirs individuels s’accordent avec la reconnaissance du caractère fondamental de toute vie

un projet de vie, résumé en 2 lignes et quelques mots, qui consiste à construire un système universel à penser la nature et à agir autrement, en usant de moyens qui nous sont familiers et accessibles, tout de suite : l’écosophie

son respect de la nature remonte à une intuition de son enfance passée dans les forêts norvégiennes, et sa vie entière est édifiée sur le vivre plutôt que sur le construire

la flèche à suivre d’arne naess dépasse les technologies alternatives, les gestes et les énergies de substituiton pour installer “l’écologie profonde”, là où ce sont “les lois écologiques qui dictent la moralité humaine”

la tentation d’apporter comme réponse design un matériau, un lieu de fabrication, un espace de fin de vie du produit et un nombre réduit de couleurs est possible, et souvent dictée par le marché qui a des contraintes de temps, de linéaires à couvrir et de rentabilité à de plus en plus court terme

mais c’est insuffisant

olivier assouly dresse l’éloge du designer amateur, celui qui s’oppose aux rouages d’une économie de marché axée sur l’impératif d’écouler de la production en stimulant et en excitant la consommation, vite

le designer amateur est celui chez qui le plaisir de l’élaboration se développe dans la durée, “cultive des compétences, les transforme et, en général, entre dans une activité qui prend une forme collective, de partage”

le designer amateur est loin du design de galerie, du design opportuniste qui a plus à voir avec l’art qu’avec le design industriel

le travail du designer amateur s’implique d’abord dans l’analyse de la démarche de design, puis dans celle de l’usage, et non l‘inverse, et peut s’appliquer à toute conception, du conservateur d’épices en zones froides au columbarium modulaire et au balai universel

le passage est juste entre comment transformer l’instruction, le savoir, les connaissances et l’intuition en activités, rentables, qui se déploient dans la coherence et dans le temps

une vie suffit / la vie est longue

écologie, communauté et style de vie / arne naess / éditions dehors ms / 22.00 euros
archistorm n° 36 / avril-mai 09 / 7.20 euros

On se pose et on cause / Anne-Marie Builles


Où sont les cibles, où sont les marchés ?
L’inquiétude gagne les arcanes de la discipline marketing.
Depuis un certain temps et sans réelle logique apparente,la discipline fourbit des armes stratégiques et recettes, sûres de toucher leur cible.
Ont joyeusement défilé, le marketing de la demande, de l’offre, viral, ethno, générationnel, expérientiel, émotionnel, sensoriel, de guerilla, de proximité, relationnel, alternatif, buzz, géo, celui qui « s’adresse à l’enfant qui sommeille en nous » et jusqu’au « permission marketing » qui nous donne le droit de recevoir des informations de la part d’une entreprise ou d’une marque.

Design fax, dans son dernier numéro, fait état d’une nouvelle péripétie de l’évolution de la discipline, résultats d’une étude initiée par deux agences design, W&Cie Black and Gold, en collaboration avec le CSA signalant de la part des internautes une forte attente de « conversation » vis à vis des marques.
Et le marketing de conversation est lancé, son contenu s’appuirait sur des valeurs émergentes d’un temps de crise : la considération, la transparence, la cohérence et la proximité. Crise ou pas, c’est le moins qu’on est en droit d’attendre de la sollicitude des marques.
Descendre de son piedestal.
Ce nouvel avatar du marketing appelle trois remarques.
Il vient simplement éclairer le pragmatisme opportuniste bien légitime des marques qui se proposent d’aller droit à la cible, au plus direct, via le web, là ou elles sont certaines de toucher le plus grand nombre.
Ce nouveau point de vue recentre naturellement l’approche marketing sur le relationnel et la connaissance de son client, convenant que le meilleur moyen d’apprendre sur lui, c’est d’apprendre de lui / au final, le meilleur moyen de remettre du lien et de l’ « autre » dans la machine à vendre.
Intelligence collective, échange et conversation signent une nouvelle posture de la démarche, la fin « d’un marketing devenu auto-référentiel à l'instar de l’économie, qui s’est oublié dans une forme d'auto-contemplation / satisfaction, et n'a que peu revisité ses fondements, ses buts, sa place face à la société et non pas juste face à un marché ou un client solvable ».*
Les marchés sont des individus, informés, intelligents, qui partagent, échangent et se parlent, simplement demandeurs de qualité et de valeurs d’attention.
Un marketeur anglo saxon remarquait : « marketing is designed to take, not to give » . En se tournant vers le design il retrouvera quelque réconfort. Le design a su démontrer , au delà de toute approche sophitisquée de ciblage, que le meilleur atout d’une marque vers son marché est encore la qualité et l’innovation de ses produits au regard et en cohérence avec les valeurs identitaires qu’elle promeut.

*Bernard Cova . Un marketing humanisant et transversal

http://www.design-fax.fr/