lundi 12 juillet 2010

mainstream design / didier saco


mainstream / le mot est d’origine américaine et signifie grand public, dominant, populaire / il peut avoir une connotation positive / l’expression culture mainstream peut signifier culture pour tous ou négative, au sens de culture hégémonique
un film mainstream est un film qui vise un large public, un media mainstream un média de masse, il veut être mainstream signifie qu’il veut plaire à tout le monde
et un produit mainstream est un produit qui se vend massivement

fréréric martel analyse, à travers 1 200 entretiens réalisés dans 30 pays, pendant 5 ans et sur 400 pages, les stratégies au niveau world de celles et ceux qui sont en train de construire la culture qui plaît à tout le monde et dans le monde entier, pour l’instant

chacun d’entre nous a perdu déjà son innocence concernant “la création” des films américains depuis plus de vingt ans, construite autour de 3 critères : l’âge / plus ou moins 25 ans, le genre / homme ou femme et la couleur / blanc ou “non-white” / c’est à partir de ces catégories que l’audience-cible du film est déterminée, l’idéal consistant à produire un “four-quadrant film”, le film qui a pour public potentiel les femmes et les hommes de plus ou moins 25 ans, et le plus risqué le film susceptible de ne plaire qu’aux jeunes filles de moins de 25 ans, toutes les études montrant qu’elles suivent les garcons pour voir des films d’action, alors que les garcons ne les suivent jamais pour voir des films de “filles”
campagnes marketing, réseaux de distribution, calendriers en fonction des fêtes religieuses et des vacances, “focus groups” pour tester le film en cours de montage, temps de parole, temps de musique, temps d’action et temps d’émotion sont alors installés, comptés et étalonnés pour obtenir un “feel-good movie”, un film qui donne l’impression au spectateur de se sentir bien, et l’impact mainstream maximal

la mainstream culture, c’est, à travers 3 femmes de médias aux états unis, pauline kael, tina brown et oprah winfrey, l’installation de la responsabilité personnelle, du bien-être, de la pensée positive, de la santé, de la bonne harmonie du couple, de la décoration intérieure, des recettes de cuisine comme thématiques essentielles de leurs supports et leurs interventions, en donnant la parole tout autant à michael jackson et à bill clinton parlant de sa vie personnelle qu’aux stars, aux rappeurs, aux officiers de police, aux chefs d’états étrangers ou à la “girl next door”, la fille du coin, inconnue

partout, dans le monde aujourd’hui, en chine, en inde, au brésil, au cameroun et jusqu’en égypte, oprah winfrey est devenue le modèle d’animatrices de télévision qui l’imitent, et elle est aujourd’hui l’une des femmes les plus connues et les plus riches des états unis, et la seule milliardaire noire américaine


le mainstream design, ce pourrait être le titre de l’exposition actuellement au via, à paris, qui accueille comme chaque année le digest de 18 écoles de design en france, de paris à reims et de rennes à orléans

la grande surprise et le grand intérêt de cette exposition est que 90% des pièces montrées est en bois / bancs, bureaux, tables, rangements / en bois non peint, non teint, polissé et très poli

le bois est la réponse mainstream première idéale des années 2010, face à l’insécure environnemental planétaire /
chacun est “rassuré par le bois” : facilité d’accès, non contraintes d’extraction et de cuisson, souplesse, noblesse et familiarité du matériau, même si chacun d’entre nous connait les réticences face au bois illégal pillé dans les forêts tropicales, aux dépenses carbone exhorbitantes nécessaires au transport des bois exotiques et à la fin de vie impossible des mobiliers en bois quand ils sont collés avec des matières non recyclables

mais ce n’est pas la seule réponse
et si le mainstream design, le design qui plait à tout le monde, est la voie d’accès la plus efficace pour donner au design sa voix, sa reconnaissance et ses parts de marché, tous les matériaux et toutes les matières, l’aluminium, la porcelaine, le verre, le textile, l’eau, le son sont à notre disposition, mutants et accessibles


chaque appartement, chaque maison rêve en même temps de rangements de cuisine ikéa, toujours inégalés à ce jour, et d’une console hervé van der straeten dans son entrée / tous les 2 relèvent du design


le design européeen a 3 atouts / la démographie européenne, qui croît et crée autant d’amateurs de design potentiels, ses histoires, de l’escurial au camp du drap d’or, du parthénon à la carafe brita et du lit clos breton à la fiat, et ses créateurs contemporains à avignon, à aix, à bâle, à zurich, à londres, à milan, au pavillon de l’arsenal à paris et dans toutes les galeries qui les accueillent

le mainstream design européen, c’est le design qui plait à tout le monde, en prenant compte le chacun de tout le monde, ses origines bretonnes, son respect de la rigueur allemande, sa passion pour l’italie et ses connections, 24 heures sur 24, avec les cultures du monde entier

/ maurizio galante et tal lancman / coussin de belle-mère 14 rue d’antin paris 2 france / interware@wanadoo.fr
/ exposition les écoles de design 2010 via 33 avenue daumesnil paris 12 france jusqu’au 29 08
/ mainstream / frédéric martel / flammarion / 22.50 euros

Design / L’interstice est le centre / Anne-Marie Builles


Gilles Deleuze voyait dans le cinéma moderne le refus de l’enchaînement traditionnel des images, par ressemblance ou contiguité, au profit de l’interstice.
Le passage, l’interstice sont au cœur de la réflexion théorique du designer Andréa Branzi, une éthique d’intervention qu’il nous proposa lors de sa con férence du 24 juin aux Arts Décoratifs.*

Comme la plupart des architectes et des designers, Andréa Branzi prend la mesure d’une histoire humaine qui s'étend et se développe à partir de formes trop complexes pour nous autoriser une vision globale et universalisante de son futur. L’idée du progrès qui nous a longtemps donné les clefs des sytèmes d’interprétation du monde n’est plus aussi opérante pour tracer une dynamique de nos actions et de nos existences vers une vérité finale acceptée par tous.

S’il faut suspendre un temps toute vison compréhensive ou universalisante de l’histoire humaine, « rentrez dans le tableau » nous dit Branzi, en abandonnant toute distance, toute perspective ou toute ligne de fuite devenue incertaine quant à leur destination.

Nous vivons un temps circulaire, dit-il, où tout change sans changer, aucune solution n’est définitive mais conjoncturelle.
C’est en redonnant sens aux interstices, en opérant de mini transformations sur l’espace existant que nous rendrons plus humaine et plus lisible l’hyper extension de nos métropoles.
Les grandes transformations naitront du travail sur les microstuctures ; des interfaces moins agressives, plus poétiques engageant la contribution active de chacun d’entre nous, avec son identité propre.
Le design est devenu un design de masse, il pénétre nos économies domestiques et les interstices de notre vie quotidienne, l’infiniment petit au sevice d’une éthique et esthétique du quotidien de nos vies.

Son rôle est important : « Tracer de possibles modèles d’une frêle urbanisation » de territoires aux frontières floues et aux fonctions imprécises, « des modèles fragiles », caractéristiques de nos sociétés où politique, économie et culture ont perdu la force de leurs fondements et n’arrivent plus à coexister dans un système harmonieux ou à conférer une forme stable et robuste à nos villes ».

Que reste-t-il à cette société qui s’exprime à travers un nombre infini de signes et de produits mais n’arrive plus jamais à construire globalement la cathédrale dans laquelle se reconnaître ?
Simplement, avancer, toujours s’accroitre quand le centre se vide par une attention vigilante, esthétique et humaine à ce qui se passe dans l’interstice , l’imperceptible, l’infime déplacement.

En déplaçant de quelques centimètres des territoires entiers, par sa nature discontinue et expérimentale et sa taille moléculaire, le design est en train « de mettre en place une nouvelle tectonique ».

• In progress, en tant que visée utopique du design, le progrès est-il toujours d’actualité ?
• Illustration : Passaggi- Andrea Branzi