mardi 21 septembre 2010

design / l’architecture de la scène / didier saco


céramique, émail, porcelaine, celadon, maillodon / pour grand nombre d’entre nous, ces techniques, ces travaux, ces couleurs, ces créateurs relèvent du charming / un peu loin, un peu fragile, un peu délicat et totalement éloignés de nos cercles d’innovation et de recherches

il est des expositions qui vous marquent au fer rouge, non pas tant seulement par les pièces montrées que par le projet de l’exposition, à la fois de découverte in situ et d’incitation à aller parcourir d’autres chemins

circuit céramique, aux arts décoratifs à paris en est, tout comme, il y a quelques années, l’âme au corps au grand palais et paris moscou au centre pompidou

la réussite d’une scénographie repose sur 4 fondamentaux : le lieu, la résonance des pièces les unes avec les autres, la curiosité que l’exposition va savoir susciter et l’âme qui va savoir lier les désirs, les talents et les possibles

bien sûr, il y a la monstration / montrer les pièces / bien sûr, il y a la concaténation / les pièces qui s’enchainent, l’une après l’autre et forment le récit de l’exposition et, surtout, il y a le relais : le passage de la pièce au visiteur, et l’invitation à chercher, hors lieu, à poursuivre la découverte

frédéric bodet, commissaire de l’exposition, a réussi à installer la céramique en proue et en modèle de la création contemporaine

il a aussi su, et c’est là l’exceptionnel de l’architecture de l’exposition, croiser art, artisanat et design / chaque pièce choisie montre que la couleur, la matière, la cuisson, la lumière et l’émotion la rendent unique et intemporelle, et caduque le débat qui est artisan, qui est artiste, qui est designer / la formation de chacun dessine son projet, vers le moulage et le coulage dans une perspective sérielle ou vers la pièce unique, avec l’approfondissement maximal des possibilités plastiques et manuelles de l’argile

c’est là l’échange exemplaire de jean girel, potier et maitre d’art, avec emmanuel boos qui a passé 3 ans à ses côtés à apprendre un métier, comme au japon avec les trésors nationaux vivants, et livre ses recherches, qui ne sont pas l’imitation des comportements d’un autre âge mais celles d’un enfant de son siècle

c’est là le travail de valérie delarue qui s’expose, à nu, et bâtit, avec ses mains et son corps, un espace à sculpter

c’est là l’intelligence de la scène qui distribue les pièces, tant dans le département contemporain que dans les collections permanentes dans lesquelles elles s’insèrent, naturellement, du moyen-âge à la période art déco

c’est là toute une génération de créateurs jeunes qui prennent à corps la matière terre et la fait leur, chacun avec son parcours / artiste, designer / et ses désirs

et c’est le regret de frédéric bodet de voir les formations beaux-arts et design écarter la pratique de la terre alors que se manifeste, parmi la nouvelle génération, un renouvellement du désir de travailler l’argile

66 artistes et designers français, talents émergents ou confirmés, dont la très grande majorité nous est totalement inconnue nous y présentent leurs travaux / c’est là l’un des multes talents du commissariat de l’exposition


à 33 minutes à pied, la galerie emmanuel perrotin fait de même : 18 artistes, inconnus de la majorité d’entre nous, présentent des œuvres majeures, sensibles et originales, en écho à notre aujourd’hui et sans aucun lien avec les exhibitions d’égo auxquelles nous avons du être confrontés les années passées


2 sites, plus de 80 expressions de la “création émergente encadrée”, selon frédéric bodet / pour certains, c’est une vocation, pour d’autres, un passage et, pour nous tous, des recherches partagées / et une réponse fulgurante et convaincante à tous ceux qui gémissent sur la disparition de la création et de l’innovation et se réfugient dans le patrimoine et la ré-édition


et il y a monet au grand palais, à paris aussi

emmanuel boos / installation bordel ! / détails 2009 / porcelaine émaillée / www.emmanuelboos.com

- group show / galerie emmanuel perrotin 76 rue de turenne jusqu’au 30 10 10
- circuit céramique / les arts décoratifs / département contemporain et collections permanentes 107 rue de rivoli jusqu’au 20 02 11
- jean girel, maitre d’art / la sagesse du potier / édition de l’œil neuf

Matière vive / Anne Marie Builles


Circuit Céramique

Le premier art du feu que notre humanité sut maitriser, subtile alchimie de la terre et du feu, l’art de la céramique, est la toute première expression de notre intelligence de la technique, de nos liens secrets à l’imaginaire et au surnaturel.
Une tradition millénaire dont la présence nous est commune, tant elle s’est infiltrée dans nos vies, anonyme, populaire, décorative, utile, associée à tous les usages de la vie.
Circuits Céramique aux Arts Décoratifs à Paris, la scène contemporaine française, un parcours autant qu’une exposition, à rebours d’une approche souvent trop conceptuelle de l’art contemporain pour découvrir ce que, parfois, nous ne savons plus percevoir, les forces vives qui inspirent l’expérience des matières, le geste, la longue patience du travail et modelage de la matière et les techniques de ses multiples transformations.
Les mystères de cet art de terre et de feu ont toujours frappé les esprits en ce qu’ils témoignent si familièrement, de nos savoir-faire dans la grande et petite histoire du quotidien et, comme le rappelle Frédéric Bodet, « du rapport obsessionnel que l’homme entretient depuis toujours avec l’objet céramique ou avec l’argile à l’état brut ».

Qui n’a pas le souvenir effrayé et fasciné de ce qu’il en coûta à Bernard Palissy pour en percer tous les secrets ?
Aussi, tout n’est pas si calme qu’il y paraît dans le « jeu de piste » découverte des œuvres de jeunes et talents plus confirmés que nous propose Frédéric Bodet.
Frédéric Bodet a choisi de nous troubler, illustrant cette célèbre parole de René Char « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience ».
Troublante étrangeté en effet que cet itinéraire qui force la patience du regard quand surgissent ça et là, dans le bel ordonnancement d’apparat des grandes scènes de style, des œuvres « objets » fortes qui portent, dans l’expressivité de la matière, l’écho puissant des flux d’énergie et d’inquiétudes qui parcourent notre monde instable.

Cette mise en contrepoint du circuit céramique dans le cours de la grande tradition des arts décoratifs impressionne par l’intelligence sensible d’ajustement au décor d’œuvres aux techniques et mode d’expression si divers de la céramique, modelage, tournage émaillage, process de cuisson.

Frédéric Bodet joue parfaitement le jeu de « l’objet revisité par le décor » selon une partition étonnante de coups d’éclairs furtifs dans le monde feutré des grandes scènes de style, jouant tantôt la mise en affinité subtile des matières, lignes et nuances, tantôt la dramatisation intrusive d’œuvres radicales.
En contraste de ce grand décor, toutes témoignent par leur énergie créative d’un autre temps du monde et d’un « autre âge du monde ».
Tradition légère et raffinée ou choc violent d’un « artisanat furieux », œuvres étonnantes, déroutantes, conceptuelles parfois et toujours animées de « forces vives » et stimulantes et d’un questionnement passionné des potentiels inouïs d’une matière et de ses techniques de prise de forme.

Comment évolueront ces parcours de créateurs atypiques, à la croisée des arts plastiques, du design et de la pratique artisanale, ces formidable énergies d‘imaginaires, de parti-pris formalistes parfois convenus, « passage ou vocation » s’interroge Frédéric Bodet, commissaire de l’exposition ?
Garderont-il la flamme, rejoindront-ils ces jeunes artistes de la scène française par un long travail solitaire d’approfondissement et d’appropriation de la matière, cette « ferveur » que l’on retouve avec émotion chez « les maitres » venus d’Europe ou du monde (et toujours le Japon ) qui s’exposent en même temps, dans le cadre de cette grande manifestation, à la Cité de la Céramique de Sèvres et dans de nombreuses galeries à Paris.


www.circuits-ceramiques.fr /
Illustration Jean-François Fouilhoux : Calligraphies d'argile. Galerie Hélène Porée

lundi 6 septembre 2010

les cercles de la matière / didier saco


d’abord, il y a le premier cercle : le bois, le papier, le textile, l’eau et la lumière
ce sont les matières qui sont le plus proche de nous
elles nous sont familières, depuis l’enfance / nous les touchons, nous les connaissons, elles font partie de notre environnement immédiat et nous avons mille souvenirs et mille idées pour les travailler
également, elles sont simples d’approche et ne nécessitent pas d’outillage, d’atelier et de fabrique hors portée de l’individu / c’est pourquoi ce sont les matières privilégiées par les écoles de design et celles à partir desquelles la majeure partie des projets de fin d’études est réalisée

puis, il y a le deuxième cercle : celui des matières plastiques, ou polymères, qui sont apparues dans les années 50 et nous envahissent, autant dans notre vie quotidienne que dans notre environnement quand nous découvrons, effarés, dans les forêts, au bord des fleuves ou sur les rivages des masses de résidus plastiques rejettées par les eaux

si les plastiques ne le sont pas vraiment, ils offrent l’immense avantage du toujours neuf, et l’immense inconvénient du toujours cheap / ils offrent aussi, et c’est essentiel pour la création, d’être le matériau privilégié pour la fonction car ils s’adaptent à toutes les formes, s’inscrivent dans la durée et sont devenus les emblèmes de la société de la consommation

hélas, les 10 dernières années, passées à la promotion, à la culture et à l’éducation du développement durable et à la recherche de matériaux intégralement recyclables et non issus du pétrole semblent en stand by, pour le moment et même peut-être en péril, face aux économies vacillantes et aux surcoûts liés au bio / + 70% pour les fruits et les légumes, selon une étude de l’association familles rurales publiée par la croix le 24 août dernier

le troisième cercle est celui des matières précieuses : le verre et la porcelaine / précieuses par leur fragilité, par la difficulté, voire l’impossibilité à les associer à d’autres matières et par le nombre d’étapes nécessaires à leur fabrication / 50 personnes, hors création et commercialisation, constituent la chaine de fabrication d’une pièce en porcelaine

le quatrième cercle est celui des métaux / le fer, l’acier, l’aluminium, le cuivre, le zinc, l’or, l’argent et le bronze / c’est le plus loin de nous car sa fabrication est liée, en réel et dans notre imaginaire, à tout un process hors échelle humaine, violent, plein de feu et de bruit et raide, à l’opposé de toute création et de toute sensibilité

bien sûr, chacun d’entre nous sait que l’aluminium, à l’extraction extrêmement consommatrice d’énergie, est le matériau métal qui se recycle le mieux / mais connaissons-nous vraiment les vertus, les avantages et les défauts du fer, du bronze, de l’acier, du zinc et du cuivre ?
au-delà des images de forges, d’aciéries, de bruits, de transports, le métal est nimbé autant de violence, tant dans sa fabrication que, parfois, dans son usage, militaire, que de difficultés à son appréhension concrète / l’accession à l’atelier, au four, à la forge, à l’usine n’est pas simple, tant l’appareil de fabrication semble lourd

pourtant, nombre d’entre nous s’y exerce, et éric schmitt, hervé van der straeten, gérard garouste, bernar veney et jean-michel wilmotte y excellent

l’apprentissage de la matière métal, en écoles de design, est difficile, voire impossible, compte tenu des structures de fabrication nécessaires et hors mesure pour les écoles / c’est sans doute l’une des raisons majeures de notre distance au métal

peut-être aussi sommes-nous distants avec l’éternité /
l’avantage essentiel du métal, comme la pierre, sur tous les autres matériaux, est sa résistance au temps qui passe / l’idée de nombre d’entre nous du design est peut-être encore liée au temporaire, au fugace, au fulgurant et à l’événement, et la perspective de trouver, dans 2 000 ans, l’une de nos créations au fond du rhône, fait-elle plus peur qu’envie, pour l’instant

materiology / l’essentiel sur les matériaux et technologies à l’usage des créateurs / materio / birkhauser frame

séminaire design et fonderie le 09 décembre 10 / strate college designers / 27 avenue de la division leclerc 92310 sèvres
contact et inscriptions alain reynaud / reynaud@ctif.com

éric schmitt / rampe montmorency / bronze / www.ericschitt.com

Série limitée, à vos marques ! / Anne-Marie Builles


« De mon point de vue, concevoir une chaise longue en petite série et la vendre au prix exorbitant d’une œuvre d’art est un abus. Le designer est au service des gens, sa tâche est de créer un design intelligent, beau, fonctionnel et à un prix abordable ». Le propos de Terence Conran est implacable.

Et la série limitée continue de gagner du terrain sur tous les fronts de la marchandise. Elle devient un filon particulièrement prisé des grandes marques de consommation et marques de luxe.
La série limitée : « être rare », plus chère évidemment et, si possible, créative et innovante : on reprend la bonne vieille recette du marketing du luxe.
La série limitée est bien plus efficace que le story telling, le meilleur moyen pour une marque d’orchestrer la mise en spectacle permanente de ses produits.

Il lui suffit de choisir dans le rôle de maître d’œuvre et « signature » un designer ou un créateur de renom en charge de « revisiter » le produit emblématique et de l’inscrire dans la modernité. Et le tour est joué.

Projecteur sur la mise en majesté artistique du produit, on crée la surprise, de « l’inédit » de l’étonnement et, à l’arrivée, buzz et densité de présence sur tous media sont garantis.

Au final, le procédé relève de la bonne vieille méthode d’influence du psycho pouvoir de l’addiction et d’un véritable travail au corps du futur acheteur : il faut y être, il faut en être et se précipiter avant que le stock n’arrive à épuisement.

Nul besoin d’ajuster le prix au niveau psychologique de sa cible :la série limitée a son prix, celui de l’édition limitée, la valeur est immatérielle, c’est le prix de l’art.

Dans la foulée, la marque fait l’économie d’une campagne de pub.
Fashion victim, trend setter, media feront le reste pour mobiliser l’attention, attiser le désir et provoquer l’achat et chacun pourra prétendre à sa part dans cette grande braderie du luxe démocratique.

Pour cette rentrée, notre designer national nous propose, dans la série énigme « plus je regarde, plus je vois », une nouvelle version « paléolithique» du célèbre parfum de Nina Ricci L’Air du Temps.
Quand est-il de cette émotion poétique si singulière liée au flacon originel ?
Elle seule demeure en édition illimitée, et la poésie traditionnellement symbolisée par l’oiseau phénix, renaîtra de ses cendres.
Edition limitée, attention au risque de lassitude au niveau de la « valeur d’estime » que tout un chacun porte aux marques et aux produits qu’il aime, attention au risque de saturation de notre temps de cerveau disponible à leurs sollicitations artistiques et marchandes.

Nina Ricci / L'Air du Temps
By Starck / à partir du 16 octobre