mercredi 17 novembre 2010

design / l’innovation modeste / didier saco


il est de l’innovation deux unités de mesure / l’innovation universelle, telle la roue, l’imprimerie, l’antibiotique et le numérique, qui a un impact sur toute l’humanité, et l’innovation modeste, celle sur laquelle nous travaillons tous et toutes

l’innovation modeste, c’est le développement de l’amplitude de graduation d’un profilé linéaire lumineux en augmentant le nombre de créneaux sur son profilé, la recherche de la couleur du shampooing adaptée à ses composants, le rendu matière d’un comptoir du hall d’un hôpital destiné à apaiser l’angoisse de visiteurs “en urgence” ou la forme d’un mobilier mobile pour un espace culturel en développement

l’innovation modeste n’a pas d’impact sur toute l’humanité mais seulement sur le développement de l’industriel qui la commande, sur les 10, 100, 10 000 ou des millions d’usagers concernés et sur l’activité de l’agence de design qui va y consacrer 3 jours, 3 semaines, 3 mois ou des années

l’innovation modeste, c’est la relativisation des centaines d’heures passées à rechercher un rouge plus vert, un bleu plus silver ou un blanc optique, quand un seul regard sur le quai d’un métro, une sortie d’école ou les galeries d’une grande surface nous montre une seule couleur dominante, le noir, le noir et le noir

tout comme les milliers de pages de centaines de revues de mode, d’ouvrages d’architecture et de décoration intérieure, pléthores de couleurs, de dégradés et d’harmonies depuis des dizaines d’années sont balayés par les photos d’archives qui nous montrent que, non, nous ne nous habillons ni ne vivons pas comme dans les revues et dans les livres, et que le noir, le gris, le beige, le bleu bien marine et parfois, audace, le blanc sont les couleurs de nos vêtements, de nos voitures et de nos habitats depuis des dizaines d’années

l’innovation modeste, c’est le merveilleux projet d’isabelle daêron, designer / topique-eau, fontaine qui capte l’eau de pluie, la stocke, la filtre et la redistribue aux citadins en eau potable
topique-eau est l’idée d’un réseau simple d’obtention d’une eau potable en 4 étapes / capter l’eau de pluie avec un entonnoir en acier inoxydable, la stocker dans une poche souple qui indique la quantité disponible, la filtrer pour enlever virus et bactéries et la redistribuer, avec un robinet en céramique

topique-eau, c’est l’innovation modeste / au final, un robinet en ville accessible à tous / qui touche, à son échelle, à toute la problématique de l’économie des ressources naturelles et à l’action que chacun, modeste, peut entreprendre pour la recueillir et l’obtenir


le centre pompidou à paris / centre georges pompidou alors / avait consacré en 2003 une exposition philippe starck exceptionnelle / pas d’objets / dont le propos majeur était, partlculièrement saisissant dans l’une des salles composée d’une dizaine de stèles où le visage du designer apparaissait en video, la disparition de la solution unique, de l’être suprême, du deus ex machina qui résolve tout, au profit de la composition d’un ensemble de multiples réponses, issues de multiples sources, modestes et qui composent, ensemble, un univers / paradoxal et prémonitoire


topique-eau isabelle daëron à l’observeur du design, cité des sciences et de l’industrie à paris jusqu’au 13 03 11 / isabelle_daeron@yahoo.fr


les métamorphoses de la cité / pierre manent / flammarion / 23.00 euros

Complicité intelligente / L’Observer du Design / Anne-Marie Builles


Onzième édition de l’Observer du Design qui se tient pour quatre mois à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris.
Première difficulté inhérente à toute exposition design : comment mettre en scène un collectif d’objets, fut-il innovant, où chaque objet se caractérise par une valeur ajoutée singulière et attractive, d’innovation, de forme, d’usage, de confort, de texture et d’invention technologique.

La tentation est grande d’orienter une stratégie d’approche univoque ou d’adopter un parti pris scénographique « créatif » se surajoutant sans réelle pertinence à la découverte de l’intelligence de chaque objet.

Saluons l’habileté de la scénographie de l’Observer 11 : ici, point de sinuosité conceptuelle ou de maniérisme formel où l’on se demande à la fin d’un parcours d’exposition ce qu’on était venu y voir.
À la simplicité de l’intention de l’événement Observer, faire découvrir et comprendre à chaque visiteur, comment designers et entreprises travaillent à innover et perfectionner nos objets pour en faciliter le service, l’usage et nous les rendre sympathiques correspond une scénographie toute en intelligence.
Des cartels très inventifs sous forme de liasse à manipuler nous expliquent les objets avec pédagogie et humour (conçus et réalisés avec deux ethnologues, Valérie Perlès et Anne Pomathiod et le graphiste Nicolas Hubert).
«On a cherché à accompagner l’objet, à ce que le public ne soit pas désœuvré devant un objet de design. Il faut que le public comprenne ce que l’objet raconte».*

L’intention ne pouvait être plus lumineuse, s’appuyant de surcroît sur une mise en lumière-couleur qui crée habilement un cheminement chromatique et des îlots d’ambiance propres à chaque catégorie d’objets.
Pouvoir de révélation de la lumière, pouvoir de vibration, température des couleurs, autant d’atouts qui valorisent l’objet et contribuent à rendre perceptibles la profondeur et la subtilité de ses aspects, autant de potentiels d’expression dont le travail de conception scénographique des designers devrait s’inspirer plus souvent.

Tout dispositif lumière couleur a l’immense pouvoir d’ouvrir à l’infini l’espace et le registre de nos perceptions et de rendre le monde des objets extraordinairement vivant et mystérieux.
« La couleur impose ses vibrations en forces vives, comme elle peut s’immiscer en « souffles chromatiques » subtiles et légers ».*

L’Observer 11, une scénographie toute en lumière et couleur sur la recherche en design qui nous démontre la capacité du design à établir une complicité intelligente entre la recherche d’innovation et la perception de nos besoins et de nos attentes ; une curiosité de l’objet qui bute pourtant sur son mystère, ce supplément de sens, ce charme qui résiste à notre regard et que n’épuise jamais aucune explication.


L’Observer du Design - Cité des Sciences Paris jusqu’au 21 février 2011
présenté par l’APCI- Agence pour la promotion de la création industrielle

*citation Design Fax 730 - Jean-Charles Gaté
*Michel Cler consultant couleur

mardi 2 novembre 2010

design / la marque jeune / didier saco


catherine deneuve, 66 ans, en couverture de têtu, jacques higelin, 70 ans, à musique matin, jacques séguéla, 76 ans à masse critique avec frédréric martel, patrick chéreau, 66 ans, au louvre pendant 2 mois après soulages, 89 ans au centre pompidou et jean-louis servan schreiber, 73 ans, rivalise en librairies avec son éloge de la lenteur avec la bio de patti smith, 64 ans et celle de keith richard, 67 ans

la création est-elle devenue exclusivement senior ?
les medias sont-ils devenus, comme les produits, des niches, en ne se consacrant qu’à un seul type de communication, destiné à un seul type de cible ?
ou les volets se sont-ils clos, en période d’incertitudes, à ce qui n’a pas été validé par le temps et l’expérience ?

la marque jeune, c’est le titre de l’exposition que le musée d’ethnographie de neuchâtel, le men, a installée l’été 2008, avec une approche de recherches sur la constitution et l’évolution du “phénomène jeune”.
la période s’y prêtait, avec les commémorations de mai 68 et en écho aux tentatives de diabolisation croissante d’une partie de la jeunesse

le musée a recherché les relations complexes qui s’instaurent entre la jeunesse, la contestation et la consommation et formule l’hypothèse que, loin de provoquer le chaos, la rebellion des plus jeunes contribue à dynamiser la société dans son ensemble, en soulignant l’importance paradoxale des figures de la révolte et des rites de refus, non seulement sur le plan de la consommation culturelle, dont ils sont l’un des moteurs principaux, mais aussi sur celui de la socialisation et de l’intégration sociale

pourquoi alors une aussi faible visibilité de la jeune création ?

“the social network”, le film de david fincher, en donne la réponse, en franchissant le rubicon qui sépare les media thêmés et en donnant, sur un support mainstream, une vision du nouveau monde, accessible à tous
la marque jeune a ses propres réseaux, ses produits, ses marques, ses supports et ses leaders et ne craint pas l’isolement / elle communique, écrit, échange, partage, se rassemble plus que ne l’a jamais fait aucune autre génération

l’on peut comprendre, face aux orages, sociaux et économiques qui arrivent, qu’elle se protége / 10% des jeunes sortent de l’école sans aucun diplôme, et 24% d’entre eux sont au chomâge, contre 9 de la population active
l’on peut regretter, malgré toute la tendresse qu’inspire patrice chéreau, patti smith ou catherine deneuve, que leurs paroles, leurs idées et leurs projets aient peu accès, sauf manifestations, aux media
l’on peut aussi chercher soi-même et rechercher les supports, les images, les mots, les concepts de la marque jeune

le design est exemplaire / la place accordée aux projets d’étudiants et aux jeunes designers est importante, et les manifestations qui ponctuent nos années / observeur du design, saint-étienne / sont autant de tribunes offertes, le temps de la manifestation


le design donne une autre réponse à la marque jeune, en érigant le temps comme rythme essentiel de nos métiers

l’écueil de l’assimilation design/mode a été écarté, et l’assimilation du design à de la production quick de produits éphémères et vite remplacés, disparait, grâce aux écoles, aux expositions, aux journalistes, aux marques et aux designers qui investissent sur l’usage, la fonction et sur le temps nécessaire pour valider les projets et les intuitions

comme l’architecte, le designer travaille le temps comme première matière /
c’est le temps, bien au-delà du tracé et de la maquette 3d, qui rend justes nos intentions /
c’est le temps, et l’expérience, qui cautionnent et valident l’idée /
c’est le temps tout autant qui donne accès à la notoriété / chacune et chacun a le droit de le regretter et de ne pas s’en contenter


musée d’ethnographie de neuchâtel 4 rue saint nicolas / ch-2 000 neuchâtel suisse / www.men.ch

132 5. Issey miyaké, 72 ans / véronique vasseur / veronique@issey-europe.com

Design sous influence / Anne-Marie Builles


L’école d’Ulm, rive gauche du Danube, ne fonctionna que treize ans (1953-1968), son enseignement, ses méthodes de recherche et de création furent l’enjeu de discussions vives, passionnées, parfois stériles. Ce manifeste anonyme en restitue l’esprit et il est curieusement toujours d’actualité.

« Oui, dans notre société, le design doit être considéré comme un impératif social et culturel, en revanche il ne doit pas être glorifié comme une activité messianique.
Oui, il faut prendre en considération l’économie de marché ; en revanche, il ne faut pas rabaisser le design à sa valeur mercantile.
Oui, le design doit être considéré comme un outil du progrès technologique et scientifique ; en revanche, il ne doit pas être conçu comme une fin scientifique et technologique en soi.
Oui, la faculté artistique intervient dans certains domaines du design ; en revanche, le design dans son ensemble ne peut être vu comme un art de substitution.
Oui, sous certaines conditions, le design peut être considéré comme une critique de la société de consommation ; en revanche, on ne peut espérer changer la société en ne transformant que les objets dont elle se sert.
Oui, il faut qu’une conscience critique intervienne rapidement dans l’industrie des biens de consommation et de la communication ; en revanche, il ne faut pas appréhender les phénomènes de notre civilisation technicienne avec une conscience critique simplement passive et résignée. »

D’où vient que soient posés à intervalle régulier, à propos du design, les mêmes questions, les mêmes soupçons de soumission, à la pression des technologies, de l’art, du marché, de la mode, du spectacle….
Le design n’a pas à se prémunir de toute attitude critique, fut-elle défensive,
Après tout, elle marque légitimement un questionnement, une pratique, une position, stratégiquement à la croisée des influences de toutes les forces productives de la société.

Il est temps simplement d’interroger sérieusement l’autonomie d’une pratique et son ambition à devenir une discipline à part entière.
Il est temps de définir les axes et le cadre d’une recherche méthodique, investiguant tous les domaines et modes d’intervention du design, les types de liens qu’il entretient avec toutes les autres disciplines, techniques, technologiques, sciences humaines et sociales, marketing et communication.
Le moment est venu, pour la France particulièrement, de sortir d’un design sous influence, de réunir les conditions de possibilité d’une « véritable recherche en design ».

L'école D'ulm : « Textes Et Manifestes » Herbert Lindinger.Centre Pompidou
Illustration « Le combiné radio-phonographe SK4,Hans Gugelot et Dieter Rams
Produit exemplaire de l’école d’Ulm »