lundi 17 janvier 2011

design / les dictatures ordinaires / didier saco


rudy ricciotti, architecte, s’insurge contre les dictatures de la pensée actuelle qui installe, au nom de la norme hqe, haute qualité environnementale, des souffleries dans tous les bâtiments publics et le revêtement extérieur obligatoire de toutes les constructions, sans se préoccuper de combien l’énergie primaire nécessaire à fabriquer une pompe à chaleur en aluminium réchauffe d’abord la planète et si la climatisation de bâtiments universitaires à dunkerque, où il fait chaud 2 semaines par an, est la meilleure réponse à l’exigence environnementale

quel est le bénéfice sociétal de la norme qui impose à une enseigne lumineuse extérieure située à 3.20 mètres du sol rue saint martin, à paris, face au centre pompidou et à 645 mètres de la seine les mêmes contraintes d’isolation que les aquariums en lieux publics, “en cas d’inondation” ?

“le principe de précaution”, inscrit dans la constitution en février 05 pour éviter “la réalisation d’un dommage” tourne à la dictature quand il devient responsable de blocage de projets “par excès de précautions”

bien sûr, chacun d’entre nous gardera sa vie entière en mémoire les 170 victimes de l’incendie du cinq sept à saint laurent du pont et celles de la passerelle du queen mary 2 qui s’est effondrée en novembre 2003, et nul ne rendra jamais vie à celles et ceux disparus pour absurdes causes techniques et défaillances mécaniques

mais l’excès peut devenir à son tour funeste quand il s’inscrit dans une posture systématique de blocage à toute forme d’innovation

le designer, pour mathieu buard, est celui qui met en relation les phénomènes sensibles et techniques, culturels et comportementaux / c’est ce que nous enseignent nos écoles, nos formations, nos pairs et nos expériences

la conception d’une enseigne, d’un mobilier, d’une passerelle, d’un luminaire ou d’un préau d’école ne relève pas que d’une seule dimension fonctionnelle mais est, comme toute activité humaine, au cœur des préoccupations universelles plus complexes que jamais, non pas seulement d’environnement global et de réduction des ressources naturelles mais avant tout de formation, de responsabilisation et de compétences humaines

bien sûr, gémir n’est pas créer et agir, avant que de réagir, sans plus tarder, chacun à notre niveau, est la meilleure attitude, vu notre grand nombre

c’est ce que nous transmet tout autant pierre manent dans son analyse de la cité et de son histoire de l’humanité, en érigeant “le sentiment du semblable” comme moteur à vaincre la règle qui ne sait plus aujourd’hui que protéger ce qui est et interdire ce qui pourrait être


rudy ricciotti / hqe, les renards du temple / al dante / 13.00 euros
pierre manent / les métamorphoses de la cité / flammarion / 23.00 euros

lundi 3 janvier 2011

d’ombre et de lumière, Andrée Putman / Anne Marie-Builles


Au nom de la pureté de l’état monastique, Bernard de Clairvaux, fondateur de l’ordre cistercien, édicta un certain nombre de principes de construction pour les abbayes de son ordre, austérité, dépouillement, simplicité fonctionnelle.
Il y ajouta l’interdiction de colorer les vitraux pour préserver la nudité de la lumière, seule autorisée à pénêtrer en ces lieux, pour rythmer le quotidien de travail et de recueillement des moines.
Une jeune fille de la bonne société nommée Andrée Putman passa toutes les vacances de sa jeunesse dans l’un de ces lieux inspirés, l’abbaye de Fontenay, considérée aujourd’hui grâce à l’intelligente restauration de sa famille comme l’expression la plus pure et la plus parfaite de l’esprit cistercien des origines.

« On est habité par les choses, les émotions qu’on a vécues » se plait-elle à dire.
Andrée Putman a tout approché dans son parcours ; toujours en gardant l’œil qui sait voir ce qu’il y a d’essentiel à voir, dans une vie qu’elle a voulue riche de rencontres artistiques et d’expériences matérielles.
A l’évidence, Andrée Putman se souvient de la lumière et de l’espace de sa jeunesse .« Quand je crée un lieu, je ne pense jamais au design. Je pense à l’espace, à la lumière, aux axes ».

Au fil de toutes ses réalisations, hôtels, boutiques, musées, espaces intimes, mobiliers, elle démontre un sens aigu de l’esprit du lieu, qui fait dire à Francois-Olivier Rousseau * à propos d’une chambre du Morgans, son célèbre hôtel américain .
« On sent la ville qui se profile dans une contiguité logique avec l’atmosphère, les matériaux les couleurs. Il y a là un magnifique glissement qui nie la limite entre l’intèrieur et l’extérieur ».
Jeux de lumières subtils, harmonie et sensualité discrète des matières, pureté des lignes dilatent étonnamment les lieux que signent Andrée Putman jusqu'à donner une fluidité presque immatérielle à un mobilier pourtant de facture très classique.
« C’est un travail, dit-elle, qui est parfois presque invisible, presque en apesanteur. Je dis souvent qu’il doit être omniprésent mais frôler la disparition. Mes lieux sont simples, mais pas dépersonnalisés, sereins mais pas froids, séduisants mais pas opulents, doux mais pas nostalgiques, épurés mais pas restrictifs. Au fond, j’ai toujours cherché à réconcilier les matériaux pauvres et riches. C’est une idée anti-ghetto et anticonformiste sur l'aménagement de l'espace, sur la lumière et sur l'élégance dans le détail ; parfois l’humour s’y glisse ».

Parce qu’Andrée Putman se moque des modes et des conventions, elle sait à chaque moment décisif de sa vie « se choisir » et laisser vivre en elle cette quête d’intériorité d’une lumière qui continue à la guider.

La dernière belle image du reportage réalisé par Benoit Jacquot sur la villa qu’elle a aménagée en 2007 au Maroc suit sa fine silhouette altière et élégante qui s’estompe peu à peu sur le chemin et rompt nette comme un trait noir la lumière blanche de Tanger qui fut la ville d’enfance de sa mère.


Du 10 novembre 2010 au 26 février 2011,
Exposition Andrée Putman l'Hôtel de ville de Paris

*Andrée Putman François-Olivier Rousseau Edition du Regard 1989