mardi 22 novembre 2011

Fabulous Jean-Paul Goude / am builles

Il faut avoir le sens de l’espace et de l’architecture du lieu pour installer cette « bête humaine » des temps modernes, la locomotive, au cœur de la grande nef du musée des Arts Décoratifs, Jean-Paul Goude n’a pas hésité.

Le premier choc passé, d’autres extravagances jubilatoires nous attendent. Jamais de posture dans ce parcours d’un talent si singulier et si puissamment inventif.

Une détermination malicieuse pour imposer ses mythologies personnelles à tout ce qu’il touche et un goût si étrange pour le jeu des métamorphoses des corps, la sculpture de ses formes, de ses mouvements et de ses rythmes, venu sans doute de l’admiration sans bornes qu’il vouait à sa mère danseuse et d’une revanche sur le professeur qui brisa un jour son rêve : « tu ne seras jamais un danseur classique, tes jambes sont trop courtes ».

Tout l’imaginaire fabuleux des métamorphoses de Jean-Paul Goude se trouve dans ses merveilleux dessins. Au commencement, l’idée, et c’est au travers d’un foisonnement de dessins, collages et découpages qu’elle prendra forme.

Pour André Malraux, c’est l’esprit de métamorphose qui donne à une création son statut d’œuvre d’art ? Alors le voilà rassuré, lui qui n’apprécie guère d’être qualifié de créateur ou créatif, cette belle retrospective à l’évidence lui dédie un magnifique « salut l’artiste ».

On y revoit tous ses films années 80, dont tant d’images nous restent en mémoire, la commémoration du bicentenaire de la révolution, parade festive sous le signe du métissage, luxuriante d’idées, de couleurs, de musiques, de bandes-sons et de gestes venus du monde entier.

Et tous les petits joyaux publicitaires qu’il réalisa pour les marques, depuis le spot dans la savane où une jeune femme rugit plus fort que le lion, la torera de Diam’s de Dim, les fenêtres qui claquent contre l’Egoïste de Chanel et pour Coco, le petit oiseau en cage, Vanessa Lolita sur l’escarpolette convoitée par Gros Minet, un « bref métrage » comme Pierre Georges du Monde le qualifia ainsi dans un joli article.

« Trente petites secondes pour un vrai chef-d’œuvre de publicité, un merveilleux petit conte poétique où le bonheur du téléspectateur peut se nicher dans une petite histoire, le temps d’un bref métrage sans presque de paroles et pourtant tellement bien dit qu’on doit envier le talent du créateur ».

Et Pierre Georges d’ajouter : « qu’à cette publicité omniprésente à la télévision, qui s’impose, s’insinue, corrompt parfois, corrode souvent peut se substituer une autre publicité, une amie familière et plaisante, cursive et furtive qui fait sourire ou rêver, s’évader ou vendre. Cet art récent devenu irremplaçable du bref-métrage qui peut tenir son rang de création et mériter d’entrer dans le patrimoine culturel du temps. »

Certaines marques redouteront le talent de Jean-Paul Goude, ses contrepieds d’humour se révèlant parfois ravageurs, comme le final de son 30 secondes sur le Club Med où la caméra accompagne un lancer de balle de golf qui vient échouer juste au bord du trou d’un green au milieu d’un lagon bleu, et Goude d’ajouter au slogan de Ségala le club « la plus belle idée qu’on ait trouvé depuis l’invention du bonheur » ...ou presque.*

Il demeure pourtant l’unique à entretenir une si longue fidélité avec certaines d’entre elles / se souvenir de la saga des fantasques Kodackettes (sept années) et celle des Galeries Lafayette commencée en l’an 2000 qui dure toujours.

Toutes les inventions chimériques que Jean-Paul Goude calqua sur les femmes de sa vie, Grâce, Farida, Toukie, si elles furent parfois lourdes à porter pour les intéressées, nous laissent au final une image de la femme, toujours inventive, malicieuse et joyeuse, loin de tous les stéréotypes de la mode.

Alors merci à ce formidable inventeur d’images de nous avoir épargné les clichés de « femmes raffinées et parfumées de naissance » pour nous démontrer que le style « le chic mode n’a rien à voir avec le luxe ou l’argent ».

*Tous les films de Jean-Paul Goude sont sur You Tube.

mardi 8 novembre 2011

le noir et le design / didier saco


michel pastoureau a mené en 1993 une étude sur les rapports entre la couleur et le design, des années 1880 à la fin du 20ème siècle, destinée au catalogue de l’exposition design, miroir du siècle au grand palais à paris organisée par l’apci

à partir de cette étude, ce qui frappe lorsque l’on regarde les objets domestiques produits en grande série à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème est l’uniformité de leur palette / presque toutes les couleurs s’inscrivent dans une gamme noir-gris-blanc-beige, et les couleurs vives sont rares
non pour des raisons techniques / à partir de 1860, l’homme européen peut parfaitement fabriquer de façon industrielle et multiplier les nuances qu’il a choisies / mais pour des raisons éthiques

si les premiers appareils ménagers, les premiers stylographes, les premiers téléphones, les premières voitures sont noir, gris, blanc ou brun et non orange, rouge vif ou jaune citron, les raisons sont avant tout morales /
pour la société industrielle du 19ème finissant, les couleurs vives qui attirent l’œil et captent l’attention sont des couleurs indécentes à utiliser avec parcimonie, alors que les couleurs plus neutres, plus sobres, celles qui relèvent de la gamme des gris et des bruns ou de l’univers du noir et du blanc sont jugées dignes et vertueuses : il faut les produire en masse

c’est aussi ce que dit l’administration des hôpitaux
“drapée dans une haute autorité morale” : au moment où la nouvelle administration des hospices civils cherche à instituer et imposer le port des uniformes, le noir s’impose : il marque d’une part l’autorité / directeurs et médecins, qui seront “en habit” et surveillantes, et l’effacement d’autre part / infirmières et serviteurs / autrement dit la haute respectabilité de l’institution

et c’est l’ère du pastorisme / l’apprentissage du vêtement bouilli pour tuer les microbes / qui verra disparaître le noir en milieu hospitalier au profit du blanc jusqu’aux années 1980 où le code couleur évolue et permet de différencier les services / salles d’opération, radiologie


le designer au début du 21ème siècle a 2 fossés dans lesquels il doit en permanence éviter de verser :
- le premier est le débat avec l’ingénieur qui, encore aujourd’hui dans de très nombreuses entreprises, s’oppose au designer en expliquant que l’usage est plus important que la fonction et que l’objectif premier de l’objet est de servir le plus longtemps possible /
le débat sur la couleur n’y a pas sa place et l’exemple parfait est la marque anglaise dyson, portée par un ingénieur autour de la fonction et où la couleur / le jaune / n’a qu’une seule fonction : être déclinée à l’identique sur tous les produits pour reconnaissance immédiate sur les linéaires
- le second est le débat avec l’univers de la décoration / depuis 10 ans et face à la décrue de l’intérêt vers la mode, l’attention s’est portée vers le design, en substitut mais avec le même objectif : faire joli, avec les dérives, bien sûr, que le joli, construit à base de formes, de matières et de couleurs, prenne le pas sur la fonction

face à ces 2 écueils, le travail du designer avec la couleur est de lui donner un message fonctionnel / quelle est la fonction du bleu, du blanc, du rose et noir, en dépassant les postures classiques : ce qui relève de l’eau est bleu, de la nature full vert, du soleil total orange et de la nuit deep noir

pour installer son autorité face à l’ingénieur, au décorateur et au chef d’entreprise qui hésite à investir en design / 2011 sera la première année où le design management sera enseigné à sciences-po / le designer choisit le noir

en choisissant la couleur de l’austérité, de la religion, de la tempérance, de l’élégance et de la modernité, le designer inscrit et accrédite ses recherches basées sur la culture, la curiosité et l’intuition et oppose aux critiques possibles de l’ingénieur, de l’aléa et du financier la couleur de la profondeur

à l’instar du photographe, de l’opérateur de cinéma et des arts de la scène qui partent du noir et, à l’aide de diverses sources de lumières artificielles, fabriquent la lumière, la construisent en fonction de la scène à éclairer, à l’opposé du peintre qui commence par la toile blanche, le designer construit son récit à partir d’intentions, de besoins, de projets et de solutions avec le noir pour l’inscrire dans une histoire déjà initiée

tout en même temps, le choix du noir est aussi extrême orgueil
“je suis le mari de jackie” déclare john fitzgerald kennedy au général de gaulle lors de sa visite en france en 1961
en choisissant le noir, le designer, comme jfk, installe l’idée de l’évidence et de la pertinence absolue de son travail / nul besoin d’explication, de développement et de note d’intentions / son travail, comme l’identité du président, se drape d’effacement tout en se prévalant de totale certitude

d’autres couleurs portent nos travaux, et d’autres combats sur la couleur sont encore à mener / l’ironie et la désinvolture rencontrées par matali crasset sur son travail avec les couleurs lors d’un entretien radio récent par l’une des plus importantes journalistes françaises laissent interdit

yann kersalé / sept fois plus à l’ouest / sept installations de recherche lumière-matière / exposition espace fondation edf paris jusqu’au 04 03 12