mardi 10 janvier 2012

design / usage et usure / didier saco


la matière s’use, l’usage laisse des traces, altère les surfaces et modifie l’espace, et la place de l’usure dans tout projet, design comme architectural, est essentielle

patine au seuil d’une église, griffures sur un plan de travail, défoncement d’un coin d’une bâtisse, plinthe éraflée, toute trace d’usure est digne d’attention car elle raconte une double histoire : l’histoire d’un bâtiment, d’une chaussée, d’un mobilier, d’un objet, et l’histoire de celles et ceux qui y ont véçu et qui l’ont utilisé

la définition de l’usure, à la fois abstraite et concrète, générale et sensible, est l’altération de la matière suite à des usages répétés, et les experts sont tout autant les fabricants de matériaux et les installateurs que les équipes d’entretien, les ingénieurs de la tribologie et les services de maintenance

quelque soit l’endroit où elle apparait, de l’usine au couloir du métro et du billot du boucher à la cuisine, l’usure est consécutive à l’usage, à l’utilisation d’objets, à la pratique d’un espace et implique des transformations pour les biens concernés qui sont des effets collatéraux d’actions qui n’avaient pas cette finalité, comme les dépôts de chewing-gums sur les revêtements de sols, les marques de dérapage sur une chaussée et les ornières au bord des routes en béton

les usures ont toutes un impact de type sensoriel, visuel ou tactile, et cette trace laissée par l’usage s’inscrit dans l’histoire de l’objet, du bâtiment et nous émeut, par l’évocation d’usages et d’usagers précédents ou par le rejet / le refus de toute altération, de toute existence précédente, de tout non-neuf et non originel

le rôle du designer, tout comme celui de l’architecte, est non seulement d’anticiper l’usure mais de l’inscrire dans le process de vie de son projet, en imaginant l’usage, la résistance, la transformation des matériaux qu’il requiert et l’évolution des usagers sur un espace temps indéfini

tout projet est un projet de vie partagé, et le temps, celui du gel, de la chaise à roulettes qui heurte le mur, du grafitti sur la peinture, de l’éraflure du couteau, de la trace de chaud au-dessus du radiateur fait partie de la vie

quant à vouloir bloquer l’apparition des traces, se soustraire au monde matériel et nier l’usure, ce serait imaginer le monde comme un prototype, tout en matière diamant, et la vie comme le département “recherche et développement” d’une entreprise multinationale, sans traces de pluie sur les vitres, sans émotions, sans sueur, sans larmes et sans animisme, comme lorsque nous tapons sur un appareil en dysfonctionnement en croyant qu’Il l’a fait de son propre chef et que quelques coups le feront refonctionner

qu’apprend l’usage de l’usure ? la négociation et la diplomatie

savoir accepter l’usure et se préoccuper d’elle, c’est donner place, pour tout projet, au temps qui passe, ce qui signifie l’ambition du long terme et de ses aléas et, tout en même temps, l’acceptation de l’autre, avec ses modes de vie multiples pour ce qui relève de l’humain et ses intempéries et ses mutations climatiques

la négociation et la diplomatie, c’est la reconnaissance de l’expertise face aux parois de couloirs rabotées, aux portes d’ateliers défoncées, aux halls d’entrée prématurément érodés, aux pavés de trottoirs disloqués, aux ascenseurs multe fois repeints, et l’attention accrue sur les usages et le choix des matériaux comme l’inox, le verre, les résines thermodurcissables et le granit, matériau très dur, qui résiste de manière considérable aux phénomènes d’abrasion et de poinçonnement, d’entretien très aisé par polissage dont la texture brouillée permet de camoufler les dépôts et donc idéal pour les sols de couloirs à très grande fréquentation

la négociation, c’est l’été, chaque année, à londres pendant 3 mois, la conception d’un pavillon face à la serpentine gallery par un architecte ou une équipe de concepteurs qui n’a pas encore construit au royaume-uni et la rencontre entre un bâtiment non fonctionnel, sans usure et sans usage et 250 000 visiteurs qui viennent chaque année intégrer ce chef-d’œuvre à leur vie et à leurs possibles d’usagers

usus / usures / état des lieux éditions communauté française wallonie-bruxelles

serpentine gallery pavilions / kensington london chaque année en juin, juillet et août

« Aimer ce que nous sommes » / am builles


« Aimer ce que nous sommes » titre d’une chanson de Christophe qui pourrait utilement inspirer nos énergies créatives pour les jours à venir. Il va nous falloir changer de paradigmes entend-on de tous bords. Mais j’aimerais qu’on m’explique comment fait-on rentrer ces drôles de choses dans les têtes ? Qui va commencer à changer ? Qui donnera la voie intelligente, juste et sensible pour prendre les bonnes décisions et agir ?

A y regarder de plus près, il se pourrait que les besoins et désirs des humains n’aient pas radicalement changé depuis bien des temps.

L’avenir appartient à ceux qui ont une longue mémoire disait Nietzsche. Regardons tout ce que nous avons réalisé. Et c’est justement parce que nous avons su changer, nous adapter et avancer, qu’au fur à mesure s’est révélée toute la complexité du monde et la nécessité d’une solidarité planétaire.

Aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies, dans une lumière particulièrement crue, tout est là, à découvert, le roi est nu, nous voyons et nous avons encore moins de solutions toutes faites pour y répondre.

Mais constater ne suffit pas. Comment en percevoir la juste mesure sinon au travers des idéaux et des intentions que nous formerons et des actions que nous voudrons mener. Au commencement est l’acte, parce que nous ne savons faire qu’une seule chose, changer, nous adapter, réaliser.

L’impulsion vient de certains d’entre nous, les pionniers, les innovateurs, les artistes, ceux qui savent changer leur mode de pensée, nous indiquer d’autres voies, ceux qui inventent, imaginent, créent, inspirent, bousculent les frontières et ont le désir de faire avancer l’humanité.

Sachons les repérer!

Les designers sont de ceux-là, pour nous inciter à changer le regard sur les objets, repenser nos comportements, nos usages et mettre en lumière de nouveaux modèles intégrant et détournant des technologies existantes pour en redéployer toutes les possibilités d’application.

Jugés parfois comme intransigeants, perfectionnistes, voire ombrageux, leur seule excuse est la passion créatrice qui les anime, explorer, trouver des solutions et aimer les partager avec le plus grand nombre.

Et si l’ultime paradigme de toute morale, de tout engagement ou de tout projet d’action était l’amour ? « Il n'y a rien d'autre à apprendre. Celui qui sait cela, sait tout. » (Vladimir Jankélévitch).

« Fais ce que tu aimes » était le premier principe de Steve jobs, principe qui a porté naturellement son entreprise à un niveau d’exigence maximum.

Aimer ce que l’on fait, vouloir le meilleur, mettre de la beauté là où on ne s’y attend pas, puisse cette généreuse exigence être en 2012 la mieux partagée entre les entrepreneurs et tous les designers qui passent leur vie à essayer de les convaincre.

logo Apple, interprétation de Viktor Hertz