mardi 24 avril 2012

design / le design de corps / didier saco

nous ne sommes plus des héritiers

les évolutions sociales, générationnelles et culturelles rendent le monde plus incertain et plus ouvert tout en même temps à tous les possibles, et chacun d’entre nous est amené à la production de son identité, à partir de sa culture et de son désir

nous devenons les artisans de nos existences qui s’extraient de nos histoires, de nos passés et de nos héritages, et l’individu peut se libérer du tribut au social et développer sa marge de création

et le corps est la matière première de l’existence

c’est ce que nous racontent les tatouages, les scarifications, les piercings, percements de la peau pour y ajouter un décor, les stretchings, élargissements du piercing pour des apports de décors importants, les cuttings, inscriptions géométriques sous forme de cicatrices décorées, les brandings, cicatrices en relief réalisées au fer rouge, les peelings, retraits de surfaces de peau et les implants sous-cutanés, incrustations de formes en relief sous la peau

c’est aussi une industrie / l’industrie du design corporel s’épanouit / le corps est devenu la prothèse d’un moi, en quête éternelle d’une incarnation pour sursignifier, comme avec un stabilo, sa présence au monde par crainte qu’il ne le voit pas et le body design fait florès

industrie qui peut s’avérer fatale : le nombre de cancers de la peau a été multiplié par 8 chez les jeunes femmes en 40 ans / en cause : une plus forte exposition au soleil mais aussi le recours aux cabines de bronzage / 15 500 en france, sans aucun contrôle quant à la durée de l’exposition

que nous disent les visages over-tanned, la crête délicate du footballeur mamadou sakho, les piercings et les tatouages, les corps amincis, élargis, les traits lissés, les matières ajoutées et celles supprimées ?

que nous disent celles et ceux qui veulent être re-marqués ?

le design corporel est une manière de prendre le corps, plutôt que la parole, pour dire au monde son refus d’un existant, d’un établi et affirmer sa différence

ces nouveaux usages ont renversé les anciennes valeurs négatives de violence, de douleur, de désir d’exclusion et le corps est investi comme lieu de plaisir / se faire plaisir, en tenant le récit choisi / tout en étant une prise de distance avec un monde échappé et impossible à totalement intégrer

le stéréotype du tatoué comme homme jeune, costaud, issu de milieu populaire et affichant une virilité agressive a fait son temps et, depuis 10 ans, le piercing s’est imposé comme un accessoire esthétique, autant pour les hommes que pour les femmes

c’est un travail, une intention à l’autre adressée, une ambition et c’est un projet
un travail lourd, long, qui demande parfois beaucoup d’efforts et qui rencontre, parfois, l’incompréhension face à un tel orgueil : dire non à l’établi
c’est le projet de décider son histoire, son récit et son image contre l’acquis, le temps et l’ennuyeuse logique

c’est un signe


signes d’identité / david le breton / éditions métaillié / 18.00 euros

tom sheehan, architecte, présente son travail sous forme de croquis, de traits, de cahiers d’intentions plutôt que d’ennuyeuses perspectives en 3 dimensions qui ne nous disent plus rien car trop vues et ne peuvent que rassurer ceux qui craignent et ne pas convaincre ceux qui veulent investir dans le récit et le projet
/ croquis et collaborations / la galerie d’architecture 11 rue des blancs manteaux paris 4 jusqu’au 19 05 12

lundi 2 avril 2012

design / le printemps du mobilier urbain / didier saco


d’abord, il y a l’espace public, espace neutre qui n’appartient à personne en propre et disponible pour toutes et tous, et est une liberté récente de nos sociétés basée sur l’égalité des hommes et leur circulation

puis il y a la structure des villes qui a radicalement changé en 50 ans, en passant du modèle de la ville-centre, massée autour de l’église, de la mairie et de l’école, à l’intérieur de ses remparts et de ses boulevards, à la ville-métropole multipolaire, architecturée par des réseaux d’infrastructures compliqués sur lesquels les zones d’habitat et d’activité diverses se connectent

et il y a la tentation de la résidentialisation, qui désigne tout un arsenal de mesures destinées à permettre le contrôle de l’espace public par ses riverains


à la source, il y a l’affaiblissement de la relation que nous entretenons avec les autres et que les collectivités essaient d’endiguer par les programmes de mixité sociale

l’espace public, qui a été territoire majeur d’urbanité, où le riverain entretenait le trottoir face à son habitation et avait une telle conscience de la présence d’autrui dans l’espace public qu’il fleurissait sa façade et parsemait sa fenêtre de bibelots, de plantes vertes et de poupées qui regardaient les passants, est devenu voie de passage / selon wikipédia : espace de passage et de rassemblement /, où la relation n’est plus directe et où la rencontre n’est plus qu’incident lors de nos parcours sur les espaces publics où les machines nous distribuent argent, nourriture, courrier, documents administratifs, informations et transports


puis il y a la place du mobilier urbain dans l’espace public
quel récit installer, quelle intention poursuivre dans des espaces de vie à vocation devenue circulatoire, peuplés de populations de passage, plus âgées chaque jour et en demande de plus de confort, tout en étant chaque jour plus confrontées à la différence, et à l’indifférence, de l’autre

le récit du mobilier urbain installé dans un aéroport international sera très différent de celui installé dans un square de quartier, tout en pouvant rencontrer, à des moments différents de leur vie, les mêmes publics

le mobilier d’aéroports internationaux est destiné à des publics de langues multiples auxquels il convient de communiquer en priorité par des non-mots, souvent contraints de voyager pour des raisons personnelles lourdes, parfois stressés face à un monde de hautes technologogies, généralement fatigués, qui peuvent, de gré ou de force, y séjourner de longues heures et sans privacité et en inquiétudes / celles du voyage, celles de ce que l’on quitte et celles de ce que l’on va rencontrer / là seront privilégiés le confort maximal, la communication par le signe, la circulation et le nettoyage

le mobilier de square et de jardin s’inscrit dans une toute autre perspective / celle du plaisir d’être à l’extérieur, un temps court, de pouvoir s’y isoler, face à un arbre, un bassin, un massif, avec ou sans enfant, avec ou sans livre et toujours avec soi, en quiétude / là seront recherchés l’harmonie avec l’environnement, la recherche de l’entre-soi et la mobilité / hiver-été, en solo ou en groupe


et la place du designer dans la commande de mobilier urbain / le designer y a t’il sa place ?

yo kaminagai, délégué à la conception département maître d’ouvrage des projets à la ratp et commissaire de l’exposition sous les pavés, le design au lieu du design à paris 12 jusqu’au 23 06 12, y indique que les designers ont leur place, aux côtés des urbanistes, des architectes et des paysagistes parmi les concepteurs naturels des espaces publics

qu’en est-il de la commande publique ?

s’arrêter à un carrefour de rues en ville est un début de réponse, comme le carrefour de rues s’avère un début de catalogue manufrance /
en un seul regard, pas moins de trois, voire quatre, voire plus de modèles d’éclairage public différents, qui sont autant d’étapes de l’aménagement de l’espace public, autant de décideurs municipaux successifs et autant de fournisseurs de mobilier urbain choisis par autant d’appels d’offre successifs

l’élu a besoin de l’architecte
dans le monde antique, les empereurs romains ont construit, dans rome et dans l’empire, les forums, les arcs de triomphe, les fontaines et les arènes pour y inscrire leur puissance, et l’architecte est toujours le créateur proche du pouvoir dont il édifie l’histoire et la force, au service de son image, alors que l’ingénieur incarne une réalité apolitique, purement technique et au service de l’usage


le designer n’est pas dans l’expression du pouvoir et de l’image / il est dans celle du confort, du récit, de l’écho des usages référents et de l’amorce des cultures prochaines, et il n’est, aujourd’hui encore, pas dans la priorité de l’élu : “le même, l’explique rené girard, recherche immanquablement le même” / 2005

le designer est aussi désarmé face aux listes des compétences mobilisées par l’ensemble du processus de production de l’espace public / maire, élus, conseillers techniques, programmistes, services d’assistance à la maîtrise d’ouvrage, architectes, paysagistes, urbanistes, ingénieurs, écologues, éclairagistes, plasticiens, économistes, ainsi que journalistes en charge de la communication de la collectivité qu’il convient de convaincre, de rencontrer, de former et d’entrainer tout au long du projet, qui peut être long, alors qu’il ne s’agit pas là son domaine premier de compétences tel qu’il est enseigné aujourd’hui en écoles

le printemps du mobilier urbain a commencé, et certaines agglomérations, telle évry et certaines villes, telles dinard et nanterre, confient aux designers la réflexion sur leur mobilier urbain

et les modèles de réussite, quand nos âmes, de doute sur la pérennité et la force de nos convictions, vacillent, existent : euralille, avec pierre mauroy et rem koolhaas et nantes, avec jean marc ayrault et alexandre chemetoff

il nous faut, tout en même temps, apprendre la conviction face à des attentes diverses, apprendre les temps nécessaires à un projet de mobilier urbain et apprendre la rémunération ad hoc


biennale de création de mobilier urbain parvis de la défense par defacto jusqu’au 31 12 12 / kevin lambert, designer école lisaa

la fabrique de l’espace public / denis delbaere / ellipses / 10.00 euros