lundi 28 mai 2012

design / couleur possible / didier saco

si l’on en croit celles et ceux qui se soucient, comme chacune et chacun d’entre nous, du développement durable et travaillent la couleur, l’usage de toute couleur est devenu, peu ou prou, péril


qu’elle soit naturelle / minérale, végétale ou animale / ou chimique, l’obtention de la couleur a un impact / funeste / sur l’environnement

le premier péril est le prélèvement / le rouge du saphir, le bleu du lapis, l’orange de la terre, le rose du granit, le noir de la seiche, le vert de la chlorophylle
/ prélèvement qui signifie impact plus ou moins lourd sur l’environnement, selon que la matière soit renouvelable ou pas et selon le mode de reproduction, si l’on considère l’animal comme renouvelable et selon les conditions dans lesquelles les végétaux ont poussé, avec ou sans pesticide

le second péril vient de la transformation de la couleur, pour pouvoir être vernis, collable, anti-feu, anti-champignon, anti-transpirant, anti-humidité, qui requiert de l’énergie, de l’eau et a souvent, à cette étape, des impacts funestes sur celles et ceux qui y travaillent et sur l’environnement / rejets de couleurs dans la nature

ensuite, la couleur est transportée et installée / sur le meuble, la façade d’un pont , le packaging ou le textile / et l’énergie nécessaire / le transport, la pose / est alors quantifiée et source d’impact négatif

enfin, la fin de vie de la couleur peut s’avérer tout aussi périlleuse pour l’environnement en cas d’inséparabilité des éléments qui la composent, tels les traitements de surface et qui nécessiteront des incinérations qui engendrent des pollutions dans l’air


nous sommes, depuis vingt ans, avertis des problèmes écologiques et nous travaillons, depuis is 15 ans, sur des alternatives

les alternatives, en couleur, ce sont les 22 colorants azoïques cancérigènes qui ont été retirés en europe, ce sont les choix de couleurs sans vernis, ce sont les étoffes non blanchies, ce sont les temps de séchage non accélérés

et même si philippe starck, héraut, pressent une courbe de cure, après ce qu’il ressent comme la courbe de destruction actuelle et, pour y arriver, de faire une pause, avec un temps de décroissance obligatoire, en oubliant l’avidité et en recréant l’utopie, nous devons concevoir et produire


et nous avons besoin de la couleur

beaucoup de nos projets ont voulu, en appropriant la forme comme élément premier, apporter une réponse multiple à la multiplicité de ses usagers, réels ou espérés

que disent les formes organiques actuelles de nos bâtiments, de nos papiers peints, de nos bijoux, de nos vaisselles, sinon l’idée que le pluriel prend le pas sur l’individuel et que chacune et chacun pourra se retrouver dans un espace, un décor, une ambiance “organique”, adaptable à ses idées, ses histoires et ses impulses, évolutives

c’est une tendance passionnante qui correspond à la mixité des âges, des cultures et des savoirs et à la facilité de transports des idées et des êtres, mais insuffisante si elle s’arrête à la seule forme


la couleur est indispensable, au-dela de la forme, à la signifiance / signifiance de la fonction et de l’intention

la couleur, c’est vrai, peut évoquer des étapes scolaires / le cercle chromatique de johannes itten /, des contraintes techniques / les primaires qui ne se mélangent pas, les secondaires et les tertiaires / et des carcans / le noir n’est ni deuil, ni prestige, le bleu est mainstream et le blanc est une non-couleur

la couleur peut aussi s’avérer simplissiante / la pureté du blanc, la fraicheur du vert, l’acidité du jaune et la chaleur du rouge

et dans des projets dont nous avons besoin de convaincre de la pertinence et du sens, l’usage de la couleur peut s’avérer, à tort bien sûr, juste décorante et détournant de l’essentiel : la fonction

c’est sans doute pourquoi nombre de chantiers, nombre de projets d’étudiants écartent la couleur pour se cantonner à la forme / certains y verront la traduction d’une atonie et d’autres l’absence de culture de la couleur, en croyant que sa connaissance est innée et universelle

les voyages, le temps et les rencontres nous apprennent le contraire / et il nous appartient de réinstaller la couleur, la profondeur, la douceur, la lumière, l’opacité, la matitude, l’émotion dans la ville, sur les bâtiments, dans nos maisons, dans nos actions et dans nos projets


hella jongerius / mini swatch table basse / galerie kreo paris jusqu’au 28 07 12

béatrice gisclard et raphaêle héliot / le développement durable et la couleur

mode / guide des textiles / clive allett / eyrolles / 39.00 euros

« Limon 1 » / Stéphane Simon

Clément Bagot, ce nom vous est sans doute inconnu. Il a pourtant résonné comme une annonciation il y a quelques semaines, pour des veilleurs attentifs au génie, des sentinelles qui voient tout, absorbent tout, des chercheurs infatigables qui n’ont de cesse de parcourir le monde pour trouver l’œuvre nouvelle.

C’est au détour d’une allée du salon « Drawing Now », tout aussi confidentiel aux yeux du grand public que ne peut l’être (pour l’instant) Clément Bagot qu’a que fut récompensé, avec raison, l’une de ses œuvres intitulée «Limon 1 – 2011-2012».

Pour parler de ce travail, de cette œuvre magistrale, il fallait trouver un angle juste. Ce sera celui du courage.
Peut-on d’ailleurs qualifier une œuvre de courageuse ? Au sens du temps passé, celle de Clément Bagot l'est assurément. Du propre aveu de l’auteur, ce dessin représente plusieurs mois de travail, ponctués d’interruptions s’étalant parfois sur plusieurs semaines, avant de prendre la décision de poursuivre la composition.
Ces ruptures sont à la fois nécessaires et salutaires. L’instinct de protection et de survie joue ici tout son rôle, celui pour le peintre de conserver en priorité sa santé mentale devant l'ampleur d'une tâche aussi démente que prodigieuse, à savoir l'alignement, la succession, l'enchainement, l'enchevêtrement de plusieurs milliers, millions sans doute de signes reproduits pour la plupart à l’identique. Une tâche minutieuse et laborieuse dont on ne peut prendre la réelle mesure qu’en se positionnant à quelques centimètres du support. Il s’agit du dessin côte à cote de ce qui pourrait se rapprocher de petites virgules de 3 ou 4 millimètres de hauteur et de l'épaisseur d'un cheveu. De fins traits bouclés, liés, déliés qui parfois donnent l'impression de s'effilocher même si la référence, aux dires de Clément Bagot, est plus minérale que textilienne quant au rapprochement visuel que l'on pourrait être tenté d'engager lors d’une première confrontation avec ce grand format (144 x 256 cm).

Courageuse l'œuvre l'est aussi de par la prise de risque qu'elle représente. Les interruptions voulues et physiquement nécessaires sont autant de risques de rompre l'inspiration du moment et de redémarrer son travail sans avoir la sécurité que le geste reviendra avec autant de maîtrise et d'assurance, un geste cadencé, presque mécanique qu'il faut reprendre en évacuant les doutes.

Clément Bagot dessine allongé, il fait corps avec le support et la matière papier, des heures durant il aligne, enchaine les signes, se laisse porter par son inspiration, frôle l'accident parfois, la tache d’encre qui viendrait compromettre des heures de patience acharnée, un choix de couleur qui ne serait pas le bon et qui ne s'harmoniserait pas ou plus avec la palette de tons choisis par l'artiste, des camaïeux de gris qui migrent au beige, au bleu pâle puis au rouge carmin. Une douceur apaisante se dégage de cette harmonie de tons d’une subtilité capitale pour le fonctionnement de l’œuvre.

La fatigue, l'effort physique sont indéniables. L'œuvre est imprégnée de douleur. Dans le même registre, on pense à Michel Ange qui, de sources médicales avérées, souffrait de manière chronique, le corps et l’esprit envahis par d'atroces douleurs cervicales causées par le mouvement répété d’une tête penchée en arrière des heures durant pour scruter le plafond de la chapelle Sixtine dans ses moindres détails.
Il y a dans ce don de soi sacrificiel un oubli de ses peines et de ses crispations guidées par l'achèvement d'un destin qui est en route, celui de la création d'une œuvre majeure qui ne doit rien au hasard.

A Christine Masanet, graveuse de grand talent à qui je décrivais l’œuvre sans qu’elle n’ait pu la voir, celle-ci me faisait remarquer qu’un tel travail avait dù demander une concentration inouïe, une maîtrise de soi allant jusqu'à devoir, jusqu'à savoir réguler le mécanisme de la sudation qui, au contact de l’encre et du papier, représente un danger supplémentaire, celui de voir le support se gondoler ou déteindre de manière diffuse.

Que dire de ces trouées de blanc, de ces tourbillons de traits, plus épais, plus longs, plus encornés ou ecargotés qui donnent à l'œuvre un autre rythme et finalement tout son sens ?
Simplement qu’elles sont nécessaires, elles apportent l’éclaircie. Dans ce paysage constant mais à la fois sans cesse changeant, ces trouées jouent le rôle d’une percée d’air, apportent respiration après une plongée étourdissante en apnée de signes.

Et le destin de l’œuvre dans tout cela ?
Elle fut acquise par un jeune collectionneur, rassurant, mais énervant à la fois. Il a vu, il a tout compris. Je suis arrivé un jour trop tard…mais je n’aurais de toutes façons pas eu les moyens d’acquérir un tel chef d’œuvre. Je ne formule qu’un seul souhait. Que le travail de Clément Bagot ait été vendu au prix fort et que la Galerie ait joué tout son rôle. Nul doute que ce soit le cas, il faut aussi un œil de génie pour avoir vu, repéré, détecté avant les autres une œuvre capitale qui, outre sa beauté plastique, s’inscrit d’ores et déjà dans le catalogue des productions intemporelles.

Clément Bagot est représenté par la Galerie Eric Dupont
138, rue du Temple 75003 Paris
www.eric-dupont.com
info@eric-dupont.com
01 44 54 04 1