mercredi 10 septembre 2014

design / le design coopératif et les guerriers cow-boys / didier saco

Patricia Urquiola marque son intérêt pour le design coopératif, tel celui exercé par le collectif Tog, et sur le changement de notre système de mode de travail / Ideat 111.

Tog / all creators together / est une plateforme collaborative de partage et de transmission de projets sur laquelle chacun peut trouver des designs de meubles en 3d créés par un collectif de designers de renom / à ce jour, Sébastien Bergne, Jonathan Bui Quang Da, Sam Hecht + Kim Colin, Ambroise Maggiar, Nicolas Repetti, Philippe Starck et Dai Sugasawa / qu’il va pouvoir personnaliser en en choisissant la couleur, la matière et en demander la production.

L’idée du coopératif est inscrit dans les gènes de tous les animaux sociaux et le soutien mutuel est reconnaissable aussi bien chez les chimpanzés qui s’épouillent les uns les autres que chez les enfants qui construisent un château de sable ou chez les hommes et les femmes qui amassent des sacs de terre pour parer à une inondation soudaine : tous coopèrent pour accomplir ce qu’ils ne peuvent pas faire seuls.

Cette tendance naturelle, innée, est pourtant moins un trait générique qu’un art, une capacité sociale et fonctionnelle qui requiert une culture et une formation pour se développer.

De l’indispensable coordination des tâches dans l’atelier du cristallier aux répétitions de l’orchestre, les expériences de communauté et d’action collective efficientes sont probantes et proposent une vision critique et stimulante des sociétés capitalistes contemporaines, tout en rencontrant deux réalités majeures qu’il convient d’analyser si nous décidons, pour sortir de l’apathie ambiante, de réapprendre à coopérer : la rémunération et le syndrome du guerrier cow-boy.

La rémunération, Patricia Urquiola l’installe vers “une économie de sharing que l’on devra maitriser”. Des créatifs, tels ceux de Tog, produisent quelque chose qui nécessite un système de rémunération auquel il convient d’ajouter celui de la personnalisation, de la communication, de la logistique et de la diffusion.

C’est le sociologue Morris Janowitz, relevé par Richard Sennett, qui désigne les soldats qui, sur le champ de bataille, veulent se couvrir de gloire, à leurs yeux, fût-ce aux dépens des autres, dans la mesure où leurs hauts faits font courir des risques aux autres comme des “ guerriers cow-boys “.
Le soldat cow-boy joue pour lui, et le psychanalyste dirait qu’il se bat dans un stade du miroir.
Le narcissique est un personnage dangereux sur le champ de bataille où, pour survivre, les soldats doivent privilégier l’entraide et, au 19ème siècle, le stratège allemand Karl von Clausewitz conseillait aux commandants de châtier les aventuriers, les “guerriers cow-boys” aussi sévèrement que les déserteurs.

Nous ne sommes pas en temps de guerre, et le design français doit aujourd’hui sa gloire à quelques designers cow-boys qui ont su faire la couverture des magazines spécialisés et susciter des vocations mais qui ont, tout en même temps et sans le vouloir, asséché un territoire composite en le réduisant à quelques têtes de gondole qui captent la grande majorité des projets design, tant les marques se réfugient auprès de quelques designers vedettes.

Néanmoins, la bataille est lancée ;
- tant la bataille pour convaincre les marques que le design coopératif est le design qui apporte des propositions plurielles, constituées d’expériences multiples, qui mixtent les éléments existants et indispensables, tels l’artisanat et le développement durable et en résonance avec les marchés, car polyphonique ;
- que celle pour développer le design coopératif qui intègre le processus de création, toutes les étapes de la production, celles de la gestion et de la communication.

Plusieurs montages de design coopératif sont possibles ; quelques uns existent déjà et nombre ne demandent qu’à se développer.
Ce peuvent être des partages de territoires sous une enseigne commune, le temps d’un salon, telles la Korea Craft et design foundation ou la Danish Arts foundation à Maison & Objet.
Ce peuvent être des partages de compétences entre création et entretien, le faire et le réparer, et la conception en amont qui intègre les 2 fonctions et donne au projet une perspective d’usage et d’usure.
Et ce peut être aussi la communauté comme vocation et comme nouveau modèle économique avec, comme premiers territoires exploratoires possibles, l’agriculture hors sol, la prise en compte de l’économie circulaire, l’essor des objets connectés, et tous les services inhérents à concevoir.

“Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle” s’interrogeait Montaigne, à savoir que nous ne pouvons jamais sonder la vie intime des autres, que ce soient des chats ou des êtres humains.
Le design coopératif dit que nous pouvons faire quelque chose ensemble, tout en sachant qu’un manque de compréhension mutuelle n’est pas un obstacle pour nous engager avec d’autres.

Quelques modèles de réflexion autour du coopératif
- Ensemble pour une éthique de la coopération / Richard Sennett / Albin Michel / 24 euros / l’idée et le geste
- 100% design à Londres du 17 au 20 septembre / les marques et les matières
- Dali fait le mur / Espace Dali à Paris du 11 septembre 14 au 15 mars 15 / le street art et les œuvres de Salvador Dali