lundi 23 novembre 2009

Le beau pour tous / Anne-Marie Builles


Mars 68, Pierre Viansson Ponté publiait dans le Monde un article prémonitoire : « la France s’ennuie ».
A la même époque dans cette France qui semblait apathique, deux stylistes,
femmes de passion, libres et exigeantes, Maimé Arnodin et Denise Fayolle avaient devancé le mouvement et s’apprétaient à créer leur agence « Mafia » qui, vingt ans durant, marquera les esprits de tout ce que Paris comptait alors de talents en création, mode, graphisme et design.

Les années cinquante de l’immédiate après guerre voient le début de leurs parcours individuels. Quand certains s’étonnaient que l’on puisse « vendre si laid au pays du goût », ces deux femmes d’exception tombèrent des étoiles (une centralienne et une patineuse sur glace) et surent s’affranchir avec un naturel confondant des représentations, des normes et des conventions esthétiques de leur temps.
Pour Maîmé Arnodin, l’aventure débute par « le Jardin Des Modes » et la naissance du « prêt à porter » pour des femmes qui n’avaient alors d’autres choix que le « patron » , la couturière ou la robe tablier. Pour Denise Fayolle, ce sera l’aventure Prisunic de la création pour tous.

« Ce ne sont encore que des détails : un objet de bazar dont la ligne dépouillée des bosses ou des méplats inutiles acquiert tout à coup une sorte de séduction, un vêtement bon marché qui se pare de la simplicité naguère réservée aux vêtements trop chers…On dirait que la beauté gagne du terrain».*
« Parce que nous avons les mêmes désirs, parce que c’est notre rôle de vous aider, nous avons réfléchi sur vos besoins, étudié vos projets, cherché des solutions plaisantes ».**
Destinées à se rencontrer, elles n’acceptèrent aucune concession, « toujours d’accord sur le fond et bataillant sur les détails », unies par une formidable énergie, une curiosité insatiable, le désir chevillé au corps de « changer la vie ».
Parce qu’elles croyaient en une société nouvelle, elles oseront tout.
Habitées par le désir du beau et la seule volonté de mettre à disposition de tous le meilleur de la création, elles sauront détecter et associer les meilleurs talents, aller aux quatre coins du monde pour y glaner les meilleures idées.
Leur exigence de qualité sera sans faille pour mener à bien toute la chaîne de réalisation de chaque projet, de la conception à la fabrication jusqu'à l’épreuve finale où il faut imposer le produit fini à la centrale d’achat.

Le livre que leur consacre Sophie Chapdelaine de Montvalon stupéfie par l’esprit de modernité, de cohérence et de liberté du parcours esthétique de ces deux femmes. Elles ne dictaient pas les tendances, il leur suffisait de les créer.

Rendons hommage à l’intelligence sensible de l’auteur d’avoir recueilli tant de témoignages, d’avoir restitué de façon si juste, si vivante et si graphique
le parcours esthétique de ces deux stylistes d’exception.
Miroir d’« une époque généreuse, sans égo sans exclusivité » pour toute une génération de créateurs, photographes, stylistes, graphistes qui partagèrent l’esprit « Mafia ».
Tout s’enchaîna naturellement, parce qu’il suffisait, selon Denise Fayolle, d’ajuster son comportement à ce qu’on veut défendre et « donner du style à des choses si simples ».
Maîmé Arnodin et Denise Fayolle, vraies « femmes de style », celui qui grave avec rigueur une vraie vision dans l’enchaînement harmonieux de pensées fermes qu’il faut pousser à l’extrême pour donner le meilleur.

Ce livre est nécessaire, note Terence Conran, « l’histoire de Maimé Arnodin et Denise Fayolle n’est pas un héritage, c’est un manifeste » qui prouve magistralement que «le design peut être au service des gens ».

Le beau pour tous
Maîmé Arnodin et Denise Fayolle
l’aventure de deux femmes de style

Sophie Chapdelaine de Montvallon
Edition L’iconoclaste

*Maimé Arnodin, Jardin des modes avril 1957
**Catalogue prisunic été 1963

Aucun commentaire: