lundi 11 janvier 2010

Radical design / nous savons, nous voyons venir, nous continuons / anne marie builles


Que faire dans un monde où croissent la complexité, la confusion, l’incertitude ? Dire et essayer de faire ce que l’on croit.

L’inquiétude qui s’insinue partout est le début de la lucidité, mais elle ne réussit pas encore à faire bouger les lignes.
Confiné aux intérêts du pré-carré de chacun, le souci de l’environnement ne va pas bien au-delà de mon jardin/ma maison/ma région.
Nous savons tous que les enjeux sont à la dimension du monde.
Mais le chemin risque d’être long pour qu’émerge une conscience collective qui fasse prévaloir l’interêt à long terme.
On a longtemps cru que le monde nous était donné pour le transformer, mais il est temps de prendre conscience qu’il nous est aussi donné pour cohabiter.

Qu’on le veuille ou non, nous avons atteint le seuil du « sans précédent ».
Pensée critique ou résistance ne suffit plus, le projet humaniste est à repenser totalement, à réinventer plutôt car nous en avons perdu tous les codes.

La faute à la marchandisation débridée de nos vies.
Trop d’insensibilité s’est développée dans cette logique du maximum, du plus haut, du plus beau, du plus cher (Dubai), du culte de l’apparence et de la dépense.
Nous savons bien comme Bernard Stiegler que le consumérisme a atteint ses limites : un consumérisme coupable de liquider et d’asphyxier le désir et l’attention intelligente dans le grand bazar de la marchandise et le vaste réseau liquide de la circulation de l’information.
C’est le grand « système du tout est pris, rien reçu ».
Si les hommes restent les maitres de leur destin, dans le jeu : c’est pas à nous de commencer, j’appelle les designers.

A eux, l’honneur et la responsabilité de permettre aux consommateurs la réappropriation de leur savoir-être et leur savoir vivre, à eux d’oublier un temps le « good business is best art » pour défendre l’honnête intelligence des objets et des produits, à eux de suspendre tous les petits égo créatifs, pour convaincre, rendre accessibles, compréhensibles et désirables de nouvelles formes de relations d’échange et de contribution au progrès humain.
Il est grand temps que les designers et les institutions qui les représentent dépassent leur clivages et leur chapelles et s’unissent face aux enjeux d’une planète durable pour porter une conviction commune, penser un projet collectif et faire alliance entre tous les savoirs, industries, technologies, filières d’enseignement, réseaux d’information.

Difficile de penser à la dimension du monde quand tout nous incite à l’individualisme.

S’il ne restait qu’un argument, il appartiendrait au poète qui
dit que « les hommes assemblent et habitent la beauté du monde ».

Si le monde hésite dangereusement entre sa beauté et son désastre, s’inquiète Alvar Alto, c’est aujourdhui que la profession, designers et architectes, doit opérer une conversion mentale radicale, éthique, ésthétique, comportementale, politique.

Alors le Radical Design est encore à venir.

Bernard Stiegler / La Tribune.fr 23/07/2009 / Passer à l’acte /

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