mardi 22 février 2011

Michal Batory, artisan de l’imaginaire / Anne-Marie Builles


Réel ou imaginaire, qui peut décider tant la force graphique des affiches de Michal Batory s’impose dans l’éclair de leur court-circuit ?
Michal Batory exploite et saisit au vif la réalité et la richesse de sens des matériaux et objets « à portée de main » qu’il bidouille dans l’antre mystérieux de son atelier reconstitué de par sa volonté dans la première salle de l’exposition qui lui est consacrée aux arts décoratifs.

« Les objets sont une machine de la mémoire » disait un autre de ses compatriotes, le grand inventeur de théâtre que fut Tadeusz Kantor : « ils sont la cendre de nos émotions ».
Esprit totalement libre et prompt à saisir le rapport le plus direct et le plus fusionnel entre l’objet et l’idée, Michal Batory est un vrai surréaliste.
Mais il va bien au-delà du procédé de juxtaposition insolite dont on affuble trop souvent le surréalisme : « la fameuse rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ».

Pas de hasard dans les compositions de Batory, son pouvoir de réalisation imaginaire est porté à son plus haut niveau d’exigence, de précision et de perfection technique.
Michal Batory ne truque pas, il imagine, construit et concrétise minutieusement son idée à partir des objets du quotidien, plantes, fragments, éléments de corps, tout peut faire image.
La révolution photoshop ne l’a guère ému, la plupart du temps c’est du fait main.
Art du collage allié à un talent expressionniste très aigu de la métamorphose de l’objet, les affiches de Batory produisent des images étonnamment vivantes qui s’imposent à nous dans leur stupéfiante réalité.
Pour Michal Batory, tout commence par le dessin : « Quand j’ai une idée, je crobarde, en faisant des croquis on gagne des jours de travail car, dans les croquis, on peut donner libre cours à l’imagination. Je choisis deux ou trois bonnes pistes et je commence à les réaliser ».
Un talent de dessinateur qui contribue à la liberté d’imaginaire de ses affiches et force l’acuité de son regard. Preuve que le dessin reste le chemin le plus simple pour exprimer la fusion entre forme et concept (avis aux photoshopers et amateurs 3D!).
Mais ce qui éclaire singulièrement son art, c’est l’esprit jubilatoire et subversif que l’on retrouve dans chacune de ses affiches, cette part de risque qu’il revendique volontiers dans sa démarche face à toute commande,
Une vieux réflexe de défense, du temps de ses années polonaises qu’il évoque avec malice quand il fallait déjouer l’œil de la censure souvent peu perspicace sur les subtiles « provoc » glissées subrepticement dans ses créations.

Michal Batory Artisan de l’affiche
Les arts décoratifs 20 janvier – 30 avril

lundi 7 février 2011

design / beige mitterrand / didier saco


c’est frédéric dard, selon michel pastoureau qui nous le transmet, qui a donné cette expression chromatique à l’imperméable que porte son héros fétiche, alexandre-benoit bérurier, en allusion à la couleur d’un costume d’été, léger, en toile ou en lin, pas très bien coupé que françois mitterrand a porté pendant au moins deux ans et qui, pour michel pastoureau, “ne lui allait pas du tout”

et michel pastoureau de s’interroger de l’absence de toute réflexion stratégique sur l’image d’un président âgé pour lequel “un simple bleu marine aurait été mille fois discret et plus convenable”, alors que, “vêtu d’un vilain beige, avec une légère nuance moutarde avariée, le président semblait à la fois mal endimanché, vieilli et en fin de septennat bien avant la date”, et du nombre de voix perdues au début des années 90 à cause de “cet horrible beige mitterrandien”

c’est le pas que vient / enfin / de franchir une partie des taxis parisiens en choisissant l’efficacité universelle / vert, c’est libre, rouge, c’est occupé / pour le signal lumineux au-dessus de leur véhicule, en abandonnant les lucioles beigasses qui signalaient ce que personne n’a jamais compris quoi, sinon l’indifférence totale d’une profession de se faire comprendre de tous, face à des besoins concrets / trouver un produit, trouver un client, créer un marché

ce n’est pas encore londres, new york ou buenos-aires, et le parc des taxis parisiens n’est pas encore prêt à abandonner le choix de privilégier la vie personnelle et l’usage de sa voiture à des fins individuelles, à la vie professionnelle / être reconnaissable et opérationnel immédiatement, pour créer de l’activité et de la valeur


bien sûr, il est fondamental, pour tout projet design, d’entamer la réflexion sur le rôle essentiel qu’y tient la couleur, tout autant que la forme, dans les mutations de notre société, au-delà de ses pulsions consuméristes, ses tentations de mode et les postures rétives face à l’innovation

j’aime la conversation / converser, c’est parler avec, construire un échange en s’adaptant à tous les sujets, à s’intéresser aux échos, aux réponses, aux silences, aux disgressions et aux éclats

la construction d’une identité colorielle consiste à chaque fois à s’adapter et à créer des univers particuliers, parfois inédits, parfois crus impossibles, des associations de brillance, de matières, de profondeurs et parfois d’essais et de transgressions / notre métier premier n’est-il pas de convaincre à dire oui celles et ceux qui disent non ?

la création de l’univers coloriel d’une marque, d’un produit, d’un pack s’inscrit dans sa dimension particulière, son lien à son origine, son objectif, son réseau de distribution et sa durée de vie, et il nous faut convaincre de pouvoir démanteler les codes installés pour en apporter de nouveaux : tout ce qui se rapporte à l’eau peut ne pas être bleu, tout ce qui se rapporte au feu peut ne pas être rouge, à la nature vert, au solei et aux vacances jaune et orange, au paradis bleu ciel et à la nuit noir

couleurs rêvées et couleurs réelles, le cinéma, la littérature, le théâtre et le numérique nous transmettent la force du décalage, aux rythmes des métissages, du mélange des mots, des sons, des souffles et des sources et chacun construit son univers à partir de son histoire, entre quotidien et possible et entre réalité et fiction

la croix signalétique des pharmacies est verte depuis les apothicaires du moyen-âge parce la pharmacopée était, pour sa plus grande part, tirée du monde végétal / c’était une bonne idée
certaines pharmacies, en france depuis une dizaine d’années, ont remplacé la croix verte par une croix bleue ou par une croix verte et bleue / c’est une autre idée /
mais le poids de la nature dans la composition des medicaments et celui de la vente de médicaments dans le chiffre d’affaires des pharmacies nous incitent à revendiquer l’ouverture des codes coloriels consacrés à des codes coloriels destinés, non en fonction de l’offre, mais vers le marché : comment faire venir et augmenter le chiffre d’affaires

les couleurs de nos souvenirs / michel pastoureau / seuil / 18.00 euros

mardi 1 février 2011

des après-midi dans les PME / Anne-Marie Builles


« cette expression m’est venue à l’esprit en 1976 tandis que je tentais de faire comprendre à un ami le sentiment étrange de grande sérénité qui m’envahissait lorsque je visitais une PME (généralement une entreprise de design) la sensation de me trouver dans un lieu tranquille, retiré au fond d’une grande banlieue industrielle ou au cœur d’une campagne déserte et verdoyante.

C’étaient des après-midi sereins, la lumière du crépuscule pénétrait par les baies en aluminium anodisé, éclairant bureaux et machines, découpant de larges pans d’ombres dans des espaces bien ordonnés. J’avais l’impression quasi physique que ces lieux nés d’une révolution et qui avaient été au centre du monde deux siècles durant allaient entrer dans une ère nouvelle. Ils me semblaient qu’ils avaient muri, recouvré la paix, qu’ils étaient sortis du stress ambiant. »

L’effervescence des années 80 n’a pas eu raison de cette force tranquille enrepreneuriale italienne, de cette modernité ordonnée et radieuse que ressentait alors Andrea Branzi. Elle fut sans doute bousculée par l’effervescence de nouvelles énergies créatrices tendues vers les nouvelles logiques de productions à destination d’une société prête à consommer.
Voie royale et explosive pour le design au service d’un marché de masse pour son bien-être et son mieux-vivre.
Question de bien-être pour chacun, il fallut bien alors s’adapter aux individualités.
Le design en fut tout retourné, exit les valeurs classiques de la modernité, la ligne directrice, le modèle global, place aux segments de marché, « aux minorités provisoires, aux groupes sémantiques restreints générant un ensemble de diversités définies par des styles formels comportementaux ».

Une société bariolée et multiple, un échiquier où chacun cherche en lui- même les motifs de sa propre existence et choisit une case au gré de ses envies et des circonstances, une société « télévisuelle », si familière à la société japonaise.
Balayer tout ce champ des possibles, le design y fait merveille.
Mais c’est bien en Italie, là où il est né que le design a trouvé natuellement alliance avec l’esprit d’entreprendre de ses PME, leur goût d’innover, leur goût de l’expérience, du faire-ensemble, du faire -confiance qu’elles savent ancrer dans le lien social.

Sans doute faut-il chercher la source de leur fine perception de leur environnement dans leur type d’organisation à taille humaine, « artisanale » et familiale souvent, et leur fort ancrage territorial.

Le design italien aime ses entreprises.
Le dernier numéro d’Intramuros leur consacre un très intéressant dossier.
Est-ce que nos entreprises en France aiment « assez » le design ?

Intramuros n°152
Nouvelles de la métropole froide Andrea Branzi
Photo atelier Giovanni Sacchi