lundi 5 mars 2012

design / le sens du calme / didier saco


peu d’entre nous sommes allés aux soins palliatifs de l’hôpital paul brousse à villejuif / c’est tant mieux et c’est dommage

c’est tant mieux car, pour y aller, il faut avoir près de soi, au premier cercle, au second ou au troisième quelqu’un que l’on aime et qui est en train de partir / c’est toujours une épreuve et nous, designers, n’avons pas encore créé la matière, la forme ou la fonction qui prévient les cœurs qui fêlent / c’est un challenge à relever

et c’est dommage car l’endroit est une merveille / conçu en 1989 par l’agence d’architectes avant travaux, l’espace est situé juste à l’entrée de l’hôpital et non relégué dans un coin / 10 chambres, tout en verre et en béton / des cloisons en verre opaque, comme la vie qui s’éloigne avec juste la fenêtre en verre transparent pour voir dehors la vie qui est encore là et des cloisons en béton, avec des ouvertures sur l’extérieur, réduites tout en étant présentes, pour amorcer la lumière qui va s’éteindre

c’est un travail d’architectes, totalement actuel dans sa perfection et totalement exemplaire dans l’indispensable partenariat architecte / designer que doit établir tout projet de bâti s’il veut se doter tout en même temps de valeurs physiques, sociales, urbaines, économiques, écologiques et culturelles, et qui a manqué à ce projet /
du mobilier bertoia si parfait mais si peu confort, et remisé car totalement incompatible avec le corps des familles écrasé par le chagrin et qui demande avant tout assise accorte et remplacé par les fauteuils les plus vilains mais les plus profonds disponibles en catalogues pour collectivités, des portes de chambre en verre fumé délicat mais explosé par les chariots contraints d’emporter les corps qui ne reviennent plus et des circulations étroites et incompatibles aux allers des uns, des unes et des autres


c’est tout aussi ce que nous dit le travail des merveilleux designers brésiliens, fernando et humberto campana qui viennent de livrer le décor du café de l’horloge du musée d’orsay à paris, rebaptisé depuis café campana / les designers ont imaginé une atmosphère “onirico-aquatique”, en hommage à émile gallé et à l’art nouveau, tout en couleurs, en formes et en volutes, et en totale dysharmonie avec le lieu, l’espace, son emplacement et son architecture

pour y accéder, il faut ascender jusqu’au dernier étage du musée, là où les parisiens, arrogants comme nous traitent parfois nos amis étrangers, pensent trouver la plus belle vue du monde, face à la seine et aux tuileries, vue sur la place de la concorde à gauche et notre dame de paris à droite … et tomber dans une fosse close, sans aucune vue, sans / ou presque / lumière naturelle et encastrée dans le sol

là, c’est tout le contraire / il s’agit d’un ouvrage de designers, totalement cohérent dans ses sources, ses circulations et ses formes mais hors de tout écho architectural avec le lieu, son histoire et sa localisation et qui pourrait tout autant se situer dans un aéroport au qatar ou un mall aux us

architectes sans designers ou designers sans architectes / même risque de péril d’efforts perdus car trop courts /
le travail sur l’usage, sur l’usure, sur la lumière, sur la circulation, sur la matière, sur la couleur, sur le son, sur le silence et sur la résonance du projet dans son environnement est déterminant sur sa réussite et son intégration à long terme dans l’histoire de nos vies pour apporter des réponses et des propositions qui ne relèvent pas que du seul bâti ou du seul joli mais facilitent la cohabitation entre les populations venues d’origines diverses

yo kaminagai, délégué à la conception département maitrise d’ouvrage de projets ratp et commissaire de l’exposition sous les pavés, le design, y inscrit que “les designers sont, avec les urbanistes, les architectes et les paysagistes les concepteurs naturels des espaces publics”

quant à yannick haenel, il nous invite à l’ivresse, celle des lectures, des phrases et des détails, des rencontres, des conversations et des débats et qui procure le sens du calme

la vérité se situe entre ces deux sages

soins palliatifs hôpital paul brousse 12 avenue paul vaillant couturier 94800 villejuif par avant travaux architectes / laurent gardet / philippe lankry / yves lamblin et florence martin

sous les pavés, le design / exposition au lieu du design 74 rue du faubourg saint antoine paris 12 jusqu’au 23 juin

yannick haenel / le sens du calme / mercure de france / 19.50 euros

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