lundi 25 février 2008

y a-t-il une pensée du design ? / anne-marie builles

Les premières réactions à notre projet de blog Monday design nous interpellent sur la crédibilité d’un blog design sans images. Aucun parti pris définitif, mais dans une première approche, il nous semblait utile d’orienter notre blog avant tout comme un lieu d’échanges et un laboratoire de réflexions.
Le design est présent en « images » dans de nombreux supports media ; en revanche, il nous semble manquer de théorie ou disons qu’il ne se donne pas encore les moyens de définir les règles d’un dialogue constructif avec d’autres théories et univers, sciences humaines, économiques, sociales, plastiques, univers des techniques et de la production industrielle.
La recherche design doit encore trouver son autonomie d’expression par rapport à tous ces champs de réflexions dont il relève.
Très clairement, ce dialogue semble s’engager dans nombre de recherches actuelles sur la créativité, la prospective, l’écoconception….
Le mouvement est inéluctable car l’ignorance de notre propre milieu, des changements que nous vivons et des bouleversements qui s’annoncent, pourrait bien se révéler comme une source d’aliénation. Les questions sont nombreuses : comment rendre compréhensive la complexité du rapport entre l’usager et l’objet, quelle signification aura l’objet industriel de demain, comment sensibiliser le grand public à ces enjeux, quelles visions, quelles stratégies, quels scénarios lui proposer pour le toucher, le responsabiliser…. et le faire rêver.
Une autre réserve nous inciterait à ne pas montrer d’image, l’envie de se dégager d’une attitude trop esthétisante.
L’illustration par un visuel tend le plus souvent à privilégier le beau et l’étonnement, à l’usage et aux valeurs de l’objet. L’histoire du design se nourrit des débats entre le beau et l’utile, de la distinction produit et œuvre, de l’opposition entre intellectuels qui questionnent, projettent et désirent et ceux qui réalisent, entre le discours fonctionnaliste, sérieux, techniciste et un discours plus ludique où le design est prié de se situer entre le statut de l’anonymat de l’objet destiné à la production de masse et le statut d’un design d’image, de l’objet unique (celui qui se voit, qui fait œuvre d’art ou de mode).
Préférez la bonne image à la belle image ! S’il nous est permis de donner un conseil aux jeunes designers qui présentent leur book, l’image du nième porte manteaux ou du nième vase à fleurs ne résume le talent d’un design. Si attrayante que soit la 3D, elle n’épuise pas la sensibilité d’un projet.
Trop d’images, trop d’objets miroirs, affaiblissent la compréhension de son talent et de « l’essence » de son projet. Au-delà de ses réalisations, le jeune designer sera aussi évalué sur son ouverture à d’autres disciplines, sa capacité à expliquer et à maîtriser une vision originale et globale de sa pratique en termes de système impliquant, objets personnes et relation et, si possible, dans une perspective engagée et dynamique.

Pour différer une dernière fois la preuve par l’image, et défendre par le texte, au-delà de l’apparence, « la présence » de l’objet, tournons-nous vers le poète, Francis Ponge dans « Le parti pris des choses » ou cette petite démonstration assez savoureuse sur l’ustensile.
« Littré dit qu’ustensile vient d’uti (servir, racine d’outil) et qu’il devrait s’écrire et se dire utensile. Il ajoute que l’s est sans raison et tout à fait barbare. Je pense, pour ma part, qu’il a été ajouté justement à cause d’ostensible... et qu’il n’y a rien de barbare, quelque chose au contraire d’une grande finesse. Dans ustensile, il faut reconnaître aussi une parfaite convenance au caractère de l’objet, qui se pend au mur de la cuisine, et qui lorsqu’on l’y pend, s’y balance un instant, y oscille en produisant contre le mur un bruit assez grêle.

Francis Ponge . le Grand Recueil- Editions Gallimard»

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

ceci est une excellente déclaration de guerre à la facilité et aux "belles choses" qui de trop nombreuses en deviennent confuses, illisibles et disons-le assommantes.

Puis-je me permettre (après tout j'ai été amenée en ces lieux par le Sieur Saco) de citer ce billet dans mon nouveau blog dédié à la communication globale, ainsi que la source, car il souligne des fondamentaux qui ne devraient jamais quitter nos préoccupations lorsque nous travaillons.

D'avance, je vous en remercie !