mardi 31 mars 2009

Ça déborde / anne-marie builles


1970, parution de la société de consommation de Jean Baudrillard

« Il y a aujourd’hui tout autour de nous une espèce d’évidence fantastique de la consommation et de l’abondance, constituée par la multiplicité des objets, des services, des biens matériels et qui constitue une sorte de mutation fondamentale dans l’écologie de l’espèce humaine.
A proprement parler, les hommes de l’opulence ne sont plus tellement environnés, commme ils le furent de tout temps, par d’autres hommes que par des objets.
Leur commerce quotidien n’est plus celui de leurs semblables que, statistiquement selon une courbe croissante, la réception et la manipulation de biens et de messages, depuis l’organisation domestique très complexe et ses dizaines d’esclaves techniques jusqu’au «mobilier urbain» et toute la machinerie matérielle des communications et des activités professionnelles, jusqu’au spectacle permanent de la célébration de l’objet dans la publicité et les centaines de messages journaliers venus des mass media.

Les concepts d’«environnement», d’«ambiance» n’ont sans doute une telle vogue que depuis que nous vivons moins au fond à proximité d’autres hommes, dans leur présence et dans leur discours, que sous le regard muet d’objets obéissants et hallucinants qui nous répètent toujours le même discours, celui de notre puissance médusée, de notre abondance virtuelle, de notre absence les uns aux autres ; comme l’enfant devient loup à force de vivre avec eux, ainsi nous devenons lentement fonctionnels.

Ont suivi 40 années d’une pensée aïgue, vertigineuse, fascinée par le système des objets de notre modernité qui stigmatisa leur envahissement progressif, leur succession incessante devenue pour cette posthumanité extatique d’elle-même la seule réalité.

Simulation fantomale des impressions de la vie, virtualisation du monde, mise à mort de l’illusion, point de non-retour où tout disparaît dans le même ou dans la télé réalité, irréalisme total, Baudrillard ne cessa d’en dénoncer les effets catastrophiques, pressentant comme Borges le retour de l’altérité refoulée.

«La revanche du peuple des miroirs», ceux qui refuseront de n’être qu’un simple reflet. «Ce jour où ils secoueront cette léthargie magique . Les formes commenceront à se réveiller, elles différeront peu à peu de nous, nous imiteront de moins en moins. Elles briseront les barrières de verre et de métal et cette fois, elles ne seront pas vaincues».
Retour du réel, l’excès est-il parvenu à son terme ?

Photo : César, Ricard, 1962
Compression dirigée d'automobile
Don Pierre Restany, © Adagp, Paris 2007

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