lundi 7 septembre 2009

L’esprit de la lettre / Anne-Marie Builles


Je suis une école d’art et je confie ingénument en 2004 à deux designers people M/M la réalisation de mon identité graphique.
Le résultat nous laisse perplexes : la calligraphie du sigle est formée dans un style gothique soft qui s’évertue dans une succession d’entrelacs et de circonvolutions, à briser toute lisibilité, une frénésie ornementale d’aplats qui viennent rompre systématiquement toute tentative de lecture de la lettre, pour se clore par le geste rageur d’un trait dégoulinant.
L’obstination baroque de M/M concourt à briser tout continuum de visibilité, de lisibilité et de reconnaissance de l’identité visuelle de l’ENSAD.
Si l’on pense que l’écriture est au service d’un projet ou de valeurs à investir, si l’on pense que les hommes ont inventé la typographie « pour honorer un contenu, pour donner forme à un fond, pour servir une pensée », on peut se demander devant de telles prouesses si nous vivons bien encore dans une culture du signe et de l’identité ou si nous n’assistons pas à une interchangeabilité généralisée des signes.

L’identité de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs pourrait se lire comme l’expression d’un sabotage inconscient.

Il ne s’agit pas de juger de l’esthétique de la proposition de M/M.
Simplement une école d’art se doit au premier contact de susciter un minimum de désir et d’aspiration vers l’engagement de formation qu’elle propose et Il y a là peu de place pour la dérision.

L’histoire du design s’est souvent écrite contre l’ornement, l’ornement tue la ligne.
Il est de bon ton chez certains designers de considèrer leur métier en rupture totale avec la tradition française des arts décoratifs, oublieux que tradition et modernité s’y sont souvent cotoyées.

Calligraphie, typographie sont peu prisées des designers par les temps qui courent. Pourtant, elles sont aussi une subtile école du geste, du rytme,de l’émotion,du mouvement et de la tension intèrieure des lignes.
La discipline, il est vrai, s’accomode peu de la création assistée
Je me souviens dans les années 80 d’un premier spectacle inoui du calligraphe Hassan Massoudi illustrant dans l’instantané du geste et de la lettre le texte des mille et une nuits lu par l’acteur Guy Jaquet.
L’histoire continue et la vie est formidable, puisqu’il faut sur le métier remettre l’ouvrage, l’ENSAD lance aujourd’hui un nouvel appel d’offre.
Designers, à vos typo !
Qu’un « désir d’envol » vous inspire et vous motive pour trouver et communiquer l’expression juste et sensible d’une tradition qui n’a pas à rougir au trbunal de la modernité.

référence livre :
désir d'envol
Hassan Massoudy

1 commentaire:

Jean Schneider a dit…

Je suis une peu perplexe quand je lis : "il ne s'agit pas de juger de l'esthétique de la proposition de M/M"; quand l'ensemble de la critique porte sur la FORME de la proposition, assimilée à une saturation ornementale au détriment de ? [la lisibilité ? l'autorité ? je n'ai pas vraiment su identifier]
Quant à supposer que la dérision serait 1/ la clef; 2/ un frein au désir de découvrir l'école, c'est un peu court, tout de même. Il ne me paraît pas anodin —voire : il me paraît essentiel— qu'une école de création prenne, d'abord et avant tout, le parti pris de la création, de son risque, de sa contemporanéïté.

Que M/M soient people est une affaire privée, l'intégrité formelle de leur travail reste indéniable (notez que je ne parle pas de qualité, mais bien d'un langage formel). Comme tous les travaux de création un peu recherchés, ce peut être inégal... mais de là à parler d'un sabotage inconscient : je pense que ce sont de trop subtils manipulateurs des signes et de leurs significations pour mettre l'inconscient sur la scène.