mardi 16 février 2010
« Commune présence » / Pierre Soulages / Anne Marie-Builles
« Hâte-toi de transmettre » dit René Char dans son célèbre poème « commune présence ».
C’est bien l’esprit du passeur qui guide toute l’œuvre de Pierre Soulages, dont une centaine de toiles sont présentées actuellement au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 8 mars prochain ; passeur d’une commune présence de l’art d’une expérience poétique où se joue pour celui qui demeure seul devant la toile, quelque chose qui tient à sa vérité, « ce qui échappe aux mots, ce qui se trouve au plus obscur, au plus secret d’une peinture, c’est ce qui m’intéresse ».
Un art sans présence, c’est de la décoration, dit-il.
Rares sont les œuvres qui se tiennent ainsi en permanence sur le fil tendu du désir. Désir de faire, de transmettre et exigence d’offrir chaque toile « au présent du regard ».
Son ami Pierre Encrevé note à son propos : « peindre, c’est croire passionnément, avec un désir inentamé, que la rencontre de la pâte pigmentée et du projectible lui procurera l’occasion d’émotions intenses et toujours neuves ».
Soulages ne nous délivre aucun message et ne prétend nullement à l’ineffable ; juste engager notre regard dans le silence et « la tension de ce qui advient ».
Pas de sens caché dans la présence de l’œuvre mais l’engagement dans une expérience humaine totale. À chacun de décider du sens qui ne cesse de se faire et se défaire sur la toile.,
Tout mon travail dit-il, naît de séries d’impulsions successives qui viennent d’une nécessité profonde.
Il n’y a rien à ajouter, à expliquer, pas de sens caché, pas de parcours orienté, son propos célèbre au regard d’un autre propos : « c’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » donne le ton de sa liberté de regard et de son engagement total dans l’expérience de la matérialité de la toile.
Nécessité d’imprimer gestes et traces dans la lumière de la matière, un travail de transformation « dans la progression, des étapes, des solutions qui se présentent au cours de mon travail, il n’y a pas une couleur, dit-il, il n’y a que des supports ».
Le noir pourtant. Pourquoi le noir ? « parce que ».
Du noir, Soulages aime la gravité, l’évidence, la radicalité.
Parcours d’une fidélité absolue à soi-même, liberté totale qu’il se donne d’aller jusqu’au bout du défi de la monochromie et de l’épurement de la lumière.
Et plus loin encore, jusqu'à son effacement, dans ce qu’il nomme « outre noir », moment d’un au-delà du noir, où gestes puissants, traces et vibrations ombre et lumière travaillent la matière de la toile.
Le propos du journal Libération -année 86 -n’a rien perdu de son actualité :« Le noir de Soulages dit simplement qu’à présent, il est temps de commencer à voir ».
Actualité Soulages à la cité de l’architecture qui présente la maquette du futur projet architectural du musée Soulages de Rodez (agence catalane RCR) qui exprime si parfaitement le propos de Pierre Encrevé sur le choc « d’une peinture qui fait mur et non fenêtre ».
Il faut aller voir l’admirable travail de Soulages sur les vitraux de l’Eglise Abbatiale de Conques, une étape majeure dans sa recherche sur l’intériorité et la transmutation de la lumière .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire