mardi 7 décembre 2010

Biennale Internationale du Design de Saint Etienne / Anne-Marie Builles


Parcourir « entre regard et flânerie » par un petit matin brumeux l’ancienne manufacture, vaste ensemble de beaux batiments industriels, désormais silencieux vous plonge dans un sentiment de pur dépaysement, étrange expérience design d’un temps suspendu entre un monde révolu et un autre avenir possible.
L’avenir est bien ici dans ce lieu, tel que l’a voulu avec force et ténacité toute une collectivité, la Cité du Design de Saint Etienne, qui rejoint aujourd’hui, élue par l’Unesco, le réseau mondial design des villes créatives.
L’ivresse devant l’avancée prodigieuse des technologies d’information et de communication excite les imaginaires et, comme s’il fallait conjurer leur puissance d’anticipation, d’emblée le ton d’une vision extrême est donné par le thème téléportation.
Faut-il que la perte de croyance ou d’espoir en un mieux-vivre ensemble soit assez puissante pour nous détourner vers des utopies de mondes parallèles hors espace temps, ou les fantasmes d’une réalité augmentée. L’affaire est entendue, nous ne pourrons jamais être ici et là-bas.

Au regard d’un « système monde » dont nous subissons l’excès et le mal-être généralisé là, sur le territoire soudain rétréci de notre petite planète, c’est la dimension sensible du proche et de l’humain, du physique que nous désirons retrouver au contact de notre réalité de l’ici et maintenant, gardons nous d’une exhubérance irrationnelle du « tout est possible », changeons de rêve, préconise Patrick Viveret pour « sortir des logiques de démesure qui ne génèrent que mal être et mal de vivre ».

On nous promet la dématérialisation progressive de notre environnement et, à bien regarder, il n’en est rien quand on parcourt les différents thématiques de la biennale ; « demain c’est aujourd’hui », « prédiction », « la ville mobile », « confort », « entre réalité et impossible ».

C’est bien autre chose qui se lit dans la réalité sensible de nombre de concepts à propulsion imaginaire présentés par les designers à la Biennale.
Point de grandes utopies progressistes mais une liberté de conscience re-trouvée, des tentatives multiples aux marges ou dans la recherche avancée industrielle pour échanger, produire, agir local dans l’esprit « fab labs », un désir de mémoire et de regard attentifs aux sources de l’humain, la conscience de l’urgence écologique, la volonté de tout re-combiner pour comprendre et re-prendre la main sur ce qui nous échappe, re-trouver le lien entre l’idée et l’objet, re-trouver la parole et l’intelligence des situations pour re-créer des objets qui nous parlent, re-sentir l’obligation de souscrire* un contrat social et moral au moment de renouveler les conceptions et les pratiques, re-définir ensemble par la puissance du réseau un monde préférable et soutenable.

La recherche design de cette 7ème biennale annonce qu’une formidable « résistance design pacifique » est en marche pour « re-lier » tout ce qui a été délié, ici et là-bas, ce que nous avons perdu, de notre rapport à la nature, de notre rapport au lien social, au soin de l’autre, au sens, à l’essentiel.
Encore une preuve s’il en fallait que le design devient une question politique massive qui relève de la responsabilité de chacun. Saint Etienne le prouve.

* Benjamin Loyaute

photo : Qdrum, 1193 / © PJ Hendrikse

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