le temps agit sur la création et ce que nous créons est daté du moment où nous le concevons /
le temps passe, nous évoluons constamment et nous ne portons pas sur ce qui a été conçu le même regard que lors de sa création, même pour nos propres travaux
notre champ de vision s’élargit en permanence, notre appréhension des problèmes des usages, des services, des fonctions et de la transmission des informations évolue et notre accès aux communications, aux livres, aux expositions et aux savoirs multiples nous permet de porter un regard aujourd’hui différent de celui d’hier
c’est la force majeure de la création, et c’est ce qui rend si pertinents les écrits de jonathan littell en 2006, les bienveillantes et hhhh de laurent binet en 2010, 2 textes conçus par des auteurs beaucoup plus jeunes que la période 1940/1945 qu’ils décrivent, non comme un récit historique mais comme un récit actuel, avec les mots, l’intelligence, les informations, les interprétations et les usages d’écrivains du 21ème siècle
et c’est la force essentielle de l’exposition l’art en guerre france 1938-1947 actuellement à paris de s’inscrire non dans la rétrospective mais dans l’analyse actuelle de la création française de 1938 à 1947 par la force du design qui en construit toute l’architecture / design de la scénographie, des couleurs, de la signalétique, de la circulation, des accrochages, du catalogue et de la communication
la première salle d’exposition est une petite salle carrée aux murs sombres et dont le plafond est totalement couvert de sacs noirs remplis de sable, comme ceux qui protégaient les vitrines à londres pendant le blitz
du moins, c’est ce que chacun imagine instantanément, car très peu d’entre nous étaient à londres pendant les bombardements en 1943
mais qu’importe car la messe est dite et tout le parcours de l’exposition sera marqué par le poids de ces sacs de sable, symbole de l’oppression sur la création et par la gravité et le silence que chaque visiteur / chaque visiteuse va porter pendant toute sa visite, et l’exposition est réussie
“qu’est-ce qu’une bonne exposition ?” interroge bénédicte ramade dans le numéro 653 de la revue l’œil / “une bonne exposition est celle que je suis content d’avoir vue”, résume jérôme glicenstein
si les critères de jugement changent du tout au tout selon le type d’exposition / exposition historique ou exposition d’art contemporain / et les différentes approches possibles / thématiques, chronologiques, monographiques ou historiographiques ou encore phénoménologiques, le fondamental reste le même : l’exposition sait-elle transformer l’idée que nous nous faisons d’un artiste, d’une période, nous livre-t’elle une expérience spécifique, nous apprennent-elles des choses et nous permet-elle de rencontrer des personnes et de faire des ponts avec d’autres idées, d’autres périodes, d’autres créations ?
dans ce chemin d’appréhension et de partage d’expériences et de découvertes, la scénographie est essentielle
“la scénographie n’est pas un geste, elle doit s’articuler à un propos” selon adrien gardère, muséographe du louvre-lens
la scénographie repose sur l’usage du visiteur / comment le visiteur va t-il parcourir l’exposition et en comprendre le projet tout en s’appuyant sur son expérience, qui est différente de celle de tous les autres visiteurs / quelle couleur, quelle lumière, quel volume, quel design, quel espace, quelle circulation, quel accrochage vont permettre à l’exposition d’être compréhensible de manière quasi intuitive et de fonctionner ?
bleu-blanc-rouge / ce sont les couleurs qui ont marqué les années du régime de vichy en exaltant l’idée commune de nationalisme et ont été déployées pendant les années sombres de l’occupation sur tous les documents officlels
et c’est cette omni-présence qui permet de mieux comprendre leur disparition, symboliques d’une période révolue et l’importance, par opposition, dévolue au noir en france / pierre soulages notamment / et également aux états-unis / jackson pollock, franz kline / dès l’après-guerre et que l’on va retrouver distillées à petites touches tout le long de l’exposition
“les années glauques de l’occupation colorent les toiles de rouges et de bleus exaltés et la peinture broie du noir dans les années triomphales de la victoire” résume jean-pierre greff
et il en est de même pour l’image du corps idéale, exaltée pendant l’occupation par arno breker, sculpteur allemand et paul bellugue, peintre, graveur et auteur de fresques français et à laquelle les artistes vont s’opposer, dès la libération, en montrant le corps subi, meurtri et reflet de toutes ses contradictions, de ses souffrances et de ses conflits / jacques villeglé, joan miro, alberto giacometti, otto dix, henri michaux, antonin artaud, bernard buffet, gaston chaissac et jean dubuffet
c’est là l’un des mérites de l’exposition de nous le faire découvrir, et non le seul
jérôme glicenstein / l’art : une histoire d’expositions / puf 2009 / 21.50 euros
jean-pierre greff 1941-1948 / l’expérience de la couleur / marseille 1992
l’art en guerre / france 1938 1947 / musée d’art moderne de la ville de paris jusqu’au 17 février / 11.00 et 8.00 euros / scénographie cécile degos / création catalogue et mise en page wijntje van rooijen et pierre péronnet sur mohawk loop antique vellum straw 118 g, condat mat périgord 150 g,, arcoprint edizioni 1-7 130 g etkalyflex 80 g
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