mercredi 13 mars 2013

Empathic design, « l’expérience » de l’autre / Anne Marie Builles

Sous la bannière de l’empathie se tient du 14 au 31 mars prochains la huitième Biennale Internationale du Design de Saint Etienne, 61 expositions, 32 rendez-vous et 40 pays représentés.

Si le design a vocation à être un métier généreux et humaniste, l’on peut s’étonner avec Elsa Frances, directrice de la Biennale que cette notion d’empathie soit relativement absente du discours et de l’enseignement du design.

Ce n’est pas à imputer au manque de réflexions sur le sujet qui, depuis quelques années, affleurent dans de nombreuses publications de philosophie morale et sociale, d’anthropologie, d’économie, de psychologie et de politique avec les figures de Jeremy Ruskin, Serge Tisseron, Frans de Waal, Joël de Rosnay et Bernard Stiegler.

Dev Patnaïk, fondateur de Jump Associates à qui son éditeur demandait d’écrire un livre sur l’innovation, répondit qu’il y avait bien assez de livres parus sur la question et que le monde avait plutôt besoin d’un livre sur l’empathie.

Le design est évidemment un métier d’empathie, même si l’élan et la dynamique créative qui lui sont propres se sont parfois usés au service des jeux de masques de l’éphémère et de la séduction orchestrés par les gourous du système marchand.

Si le métier a tendance à se réfugier vers des formes de repli artistique et individualiste, à sa décharge, il a trop souvent à se frotter au manque de reconnaissance et de retour sur investissement créatif de la part de ses clients, ce qui légitimement peut susciter un sentiment d’isolement et de frustration au regard d’un management d’entreprise peu enclin à le traiter comme un acteur à part entière de son développement.

En temps de crise, de déclinisme et de crispation, l’on a besoin de métiers liés à une conscience compréhensive et empathique de la société et des choses du monde / le design est de ceux-là.

Notre culture de l’ultra libéralisme, du chacun pour soi et d’une compétitivité généralisée diffuse dans le lien social une forme d’insécurité psychologique qui porte peu vers l’empathie. Elle reste cependant la seule condition, au tournant d’un monde en profonde mutation économique, technologique et environnementale, d’appréhender, de comprendre, de partager les émotions et les sentiments de l’autre et d’agir rationnellement pour son bien-être.

L’empathie va au delà d’une sensibilité émotionnelle et affective, Il ne s’agit pas de se mettre à la place d’autrui en projetant sur lui ses propres perceptions et attentes ;
l’empathie est un système complexe et associatif, une compétence qui s’entraîne dans la négociation entre l’humain le social et l’affectif et le contexte environnemental.

Une démarche méthodique et rationnelle qui réclame attention, réceptivité, réciprocité et la volonté de transformer nos relations, nos comportements et nos usages.

L’empathie est mise en résonnance intersubjective d’un échange et d’un enrichissement réciproque d’informations, une discussion raisonnée de l’un à l’autre qui ne se laisse pas envahir par la crainte de l’emprise de l’autre, se mettre à la place de l’autre, « soi comme un autre » oui, mais en restant soi-même, pour avoir ce point de vue d’ailleurs qui permet de savoir reconnaître l’existence de besoins pour chacun et pour tous, tout en évaluant la possibilité et la responsabilité d’y apporter une réponse.
Un parti-pris qui se veut coopératif et contributif et accepte l’élargissement d’un penser et d’un faire-ensemble.
L’empathie du design : « une compétence, une attitude, un mode pertinent de connaissance ? En tous les cas, une force investigatrice remarquable et une compréhension esthétique qui pénètre au plus intime de la compréhension de l’autre ? » déclare Elsa Frances.

Il y aura l’âge de l’empathie, puisque la conscience de la biosphère devient l’horizon de sens de nos solidarités, puisqu’il est désormais de notre intérêt écologique bien compris d’échanger et de partager « pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ».*

Conscience et expérience de l’autre et de humain, l’empathie nous oblige à veiller sur la vie.

* Un monde vulnérable pour une politique du care Juan Tronto

mardi 12 mars 2013

design et hétérogénéité / didier saco

Daniel Mangin, architecte-urbaniste et lauréat en 2005 de la consultation internationale pour le réaménagement des Halles de Paris, travaille sur les formes et les structures de la ville contemporaine, et en particulier sur l’idée de la ville passante et métissée

la ville passante et métissée, c’est tirer un trait sur l’idée haussmannienne de la ville, tracée sur un modèle et, au contraire, admettre positivement l’idée de la complexité des paysages urbains, préférer la vitalité à la beauté et la fluidité à la vitesse

c’est réfréner l’amour inconsidéré pour les centres historiques homogènes et les techniques urbaines normatives et vouloir l’hétérogénéité des territoires comme signal de la vitalité des populations, en privilégiant l’intervention des usagers sur leur parcelle, leur balcon, leur maison, leur jardin

c’est aussi s’inscrire à côté des normes de la maison individuelle qui s’avère totalement normée / sur les 150 000 à 200 000 maisons construites en France chaque année, seules 5% sont conçues par des architectes / au-dessous d’un seuil de surface de 170 m2, les maisons sont réalisées dans près de 70% des cas par des constructeurs et le reste par des maîtres d’œuvre et des constructeurs-artisans, à côté des publicités standardisées, des activités de bricolage réservées à la sphère domestique et des règlements de copropriété de plus en plus restrictifs

c’est, sans contester la nécessité du permis de construire, savoir en lever les lourdeurs et savoir relativiser les questions d’esthétique au regard de l’usage / l’usage du jardin qui devient potager, avec des arbres qui accueillent des oiseaux qui parfois chantent, donnent des baies et parfois de l’ombre chez le voisin

“éliminer le beau et le laid comme catégories nous permettrait de mieux percevoir toute une autre série d’autres qualités”, pour Rem Koolhaas, et trouver la juste place pour l’intervention des habitants en sachant prendre le temps d’apprendre à apprécier, situation par situation, le tolérable et le vivant, le marginal et le vital

la signalétique de la ville doit pouvoir aussi s’inscrire dans la construction d’une ville plus authentiquement vivante et ouverte à plusieurs possibles, et c’est bien que les signalétiques d’une région, d’une ville, d’un établissement à vocation culturelle, d’une entreprise, d’un centre commercial, d’une boutique aient des codes, des formes, des matières et des lectures différentes puisqu’ils diffèrent par leurs thématiques et leurs objectifs

la construction de toute signalétique a une fonction triple : le signal, la vitalité de la puissance qui la commande et la découverte vers ce qui n’est pas attendu, et qui est la fonction la plus importante
le à-côté, le ce à quoi l’on n’avait pas pensé, l’inconnu, le voisin que l’on entend et ne croise jamais, la fonction, le bâtiment, le produit, le service qui découle de ce que l’on connait mais que l’on ignore tout autant

le signal, c’est l’orientation des personnes et la gestion des flux /
la vitalité de la puissance qui passe commande, c’est savoir associer à l’information transmise le crédit de celui / ou celle / collectivités, entreprises / qui l’initie
et la découverte, c’est savoir, par la signalétique, inciter à élargir la voie, à découvrir de nouvelles directions, à susciter du désir et à déclencher des envies

nulle entreprise, nul musée, nulle collectivité ne ressemble à aucune autre et vouloir normer ce qui relève de l’humeur / la crainte, l’appréhension, puis la rassurance et la curiosité / est voué à l’ennui

la signalétique est le parcours d’un point à un autre, physique ou virtuel et le rôle du designer est de savoir dépasser la fonction usage / transmission de l’information / la transformer en source de rassurance et de confort et d’incitations vers d’autres potentiels / d’autres lieux, d’autres produits, d’autres services

la mission d’un hall de transit d’un aéroport international est beaucoup plus large que de faire transiter des voyageurs d’un avion à un autre / des populations de tous âges et de toutes langues doivent pouvoir y passer parfois des heures et y circuler sans un mot prononcer / c’est là le dire et le montrer de la signalétique

la mission d’une médiathèque est beaucoup plus large que celle d’une bibliothèque / l’on y trouve tout autant des expositions, des conférences, des formations et des accès aux multimédia / c’est là le dire et le montrer de la signalétique

tel Yahvé qui dispersa les hommes de la Tour de Babel, comme un choix divin en faveur de l’hétérogénéité plutôt que l’homogénéisation des peuples par une langue commune, l’hétérogénéité de tout système signalétique est essentielle car chaque marque, chaque ville, chaque collectivité est différente, par ses missions et ses territoires et doit pouvoir l’exprimer par sa signalétique

le rôle du designer est de concevoir une réflexion sur l’usage / quelle vocation pour la marque, pour le bâtiment / une réflexion sur l’usager / quels besoins, quels désirs, quelle fatigue et quelles capacités à chercher / et une réflexion sur l’usure / quelle durée de vie pour la signalétique / éphémère, fugace, provisoire ou pérenne

c’est aussi de vouloir inscrire son travail dans un cycle de signaux que la ville émet et qui disent, bien au-delà de l’information transmise, une moindre dépendance automobile, une forte hétérogénéité des architectures et une véritable diversité d’usages

Daniel Mangin / la ville franchisée / éditions de la Villette / 35.00 euros

Médiathèque l’Ourse / Ville de Dinard / livraison septembre 13