mardi 25 mars 2008

Le pays où le graphisme n’existerait pas / étienne hervy / rédacteur en chef, revue étapes

Les vertus de discrétion du design ont maintes fois été célébrées, l’invisibilité serait ainsi preuve d’efficacité objective. Au pays du bon vin et du bon livre, l’argument massue du gobelet de cristal, semble être assommé par le non moins redoutable “qu’importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse”. À force d’invisibilité, le graphisme a peu à peu perdu en réalité. Il est le parent pauvre, le premier dont on rogne le budget et les ailes, le grand oublié du design et des arts visuels.
Même les plus aguerris de ses professionnels doivent, inlassablement refaire leurs preuves à chaque nouveau mandat. Il ne leur servira à rien d’arguer de la qualité de leur prestation, tant que sa raison d’être ne sera pas une donnée acquise par tous. Le graphisme en France n’existe pas, ses pratiquants peinent à se voir reconnaître un statut clair, le prix d’une même prestation varie de dizaines de milliers d’euros à …rien, une gratuité paternaliste des plus crasses. Pour son quarantième anniversaire, il est tant de toucher les dividendes de l’héritage de mai 68. Signe et moteur des événements de mai : de l’affiche partout dans les rues, les écoles, les livres d’Histoire ou d’art. Affiches à l’autorité si incontestée qu’elles ont sur rester anonymes, portées et partagées par ceux qui s’y reconnaissaient sans qu’il fut besoin de s’en attribuer le savoir-faire. Mars 2008, le contraste est vertigineux avec les affiches et tracts électoraux qui encombrent rues et caniveaux : de l’image sans idée, sans idéal. Ne poussons pas le pessimisme trop loin, par le passé la discipline a déjà montré qu’elle était capable de se réinventer, de coller à une époque, de se rappeler à son souvenir au point d’en influencer le cours. Annoncé et encouragé dans ces pages, le concours des plus beaux livres existe enfin. Il est en passe de réussir à partager avec tous ses métiers une ambition pour la qualité graphique du livre. Pour que tous s’accordent à reconnaître que cette qualité d’une page, d’une lettre ou d’un signe ne doit rien au hasard.
Si le concours a eu lieu, si un jury a été constitué, des livres envoyés par leurs graphistes et/ou des éditeurs, si un palmarès existe, qu’un catalogue et une exposition l’accompagnent, la partie n’est pas gagnée pour autant. Grâce à tout cela, le physique des livres a eu l’attention des médias et des éditeurs et, espérons-le, du grand public. Reste à obtenir la compréhension de chacun d’eux. Au salon du livre, une table ronde organisée sur le stand du ministère de la communication, sous l’égide de la direction du livre et de la lecture. Elle n’a pas mobilisé les éditeurs trop occupés à tenir leur boutique à quelques pas de là. C’est dommage, ils auraient pu entendre Étienne Robial expliquer que, chez Futuropolis, imprimer en noir et blanc n’a jamais empêché de choisir parmi 17 noirs différents. Une fois encore, le graphisme verra son rôle et son impact rogné pour cause d’ignorance manifestée par une profession pourtant attachée à la transmission du savoir. Non, le graphisme n’est pas le choix de l’esthétisme ou du beau désuet, mais bien celui de la forme à dessein et du travail du sens : celui du texte, mais aussi celui de l’imprimé à l’ère électronique. Pendant que les éditeurs jouent les aveugles… et bien pas grand chose. Pendant, ce temps-là, certains chez les graphistes jouent aux borgnes en croyant faire des clins d’œil malicieux. On se chamaille sur le choix de l’affiche, de son visuel (déjà vu) et de sa typo (pas française)… L’essentiel ne serait-il pas ailleurs, n’y a-t-il rien de mieux à ce mettre sous la dent dans ce concours ? L’histoire du design a montré qu’elle doit moins aux combats d’arrière-garde qu’aux avant-gardes.

Ceux qui veulent en (sa)voir plus pourront surfer ici : http://www.lesplusbeauxlivres.fr, marcher jusqu’à la Galerie Anatome avant le 5 avril (http://www.galerie-anatome.com), où se rendre à la librairie la plus proche pour constater par eux-mêmes la réalité du livre en France.

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