mardi 17 mars 2009

la poésie de la station service / didier saco


chacun d’entre nous s’est un jour arrêté dans un espace, par nécessité, qu’il ne connaissait pas, où il ne retournera sans doute jamais et où il s’est trouvé bien

la station service en est un bon exemple, l’aire d’autouroute, la chambre d’hôtel, le hall d’un aéroport, un quai de gare tout autant

non pas tant ces espaces tant bavards de messages, d’échos, de clins d’œil, de tentatives de complicité qu’ils en deviennent inaudibles que ces lieux usuels, où les chaises et les tabourets, aux couleurs puérilement voyantes, ont la gaité forcée d’un sourire faux, où l’éclairage impitoyable fait ressortir la pâleur et les petits défauts de l’épiderme et où personne ne parle, personne ne laisse paraître un sentiment de curiosité ou de sympathie

ces lieux où chacun est un inconnu pour les autres, où les difficultés de communication et le désir frustré d’amour semblent être reconnus et brutalement célébrés par l’architecture et par l’éclairage et où l’on peut se sentir bien, car la solitude n’y est pas masquée mais au contraire reconnue et alors plutôt douce et même agréable

les chambres d’hôtel nous offrent aussi l’occasion de quitter nos espaces familiers et de trouver, dans un environnement de savonnettes, de flaconnettes et d’illustrations au mur improbables, un espace propice à la réflexion, tout comme les halls de gare et d’aéroports

les transports en train peuvent relever du même tonneau / la vitesse est suffisante pour que l’aperçu de l’extérieur et le confort des wagons permettent aux pensées d’aller à leur bon vouloir sans accroc ni affect

si nous trouvons une certaine poésie à la station-service et à l’hôtel, si nous sommes attirés par l’aéroport ou la gare, c’est sans doute qu’en dépit de leurs compromis architecturaux et de leur inconfort, de leurs couleurs criardes et de leurs éclairages violents, ils nous permettent un cadre matériel décalé à notre environnement habituel qui nous protége et n’incite pas forcément à la recherche d’idées et d’énergies, alors que le transport hors de nos repères quotidiens et dénués d’excès d’affects nous libère

nous sommes à présent habitués aux restaurants décorés de tête de rhinocéros, aux trains décorés, aux shopping-bags marqués et aux packagings pantonniers complets à eux tout seuls : ils emplissent un espace, et si d’aucuns ont pu regretter le tgv de 1974, celui d’aujourd’hui remplit une autre mission : raconter l’histoire de celui qui l’a designé, plutôt que faciliter celle de l’usager

le temps venu peut être celui de la responsabilité du designer à préfigurer les interrogations et à donner la place et l’espace nécessaires pour que chacun puisse trouver où il est bien, et là où son histoire a sa place /

celui de la modestie du designer qui saura / et c’est un exercice très difficile / être l’héraut de l’histoire et non sa vedette

l’art du voyage / alain de botton / pocket / 4.00 euros

1 commentaire:

Anonyme a dit…

alain de botton est autant une signature qu'un ouvreur d'espace, une marque et une pensée.
Le designer est-il un fluidifiant du commerce des objets ou qualificateur de nos vies et de nos relations sociales?
alain de botton est un bon compagnon.
$léoStandard$