lundi 26 janvier 2009

graft and marques / didier saco


les arts décoratifs présentent à paris pendant 3 mois le merveilleux travail d’antoine et manuel, graphiste et designer
merveilleux car le travail des deux garcons, à plat et en volume, repose sur tout un univers onirique de formes, de bestiaires, de couleurs, de typos, d’entrelacs et d’aléas et construit tout un univers sur des objets, des affiches, des invitations, des signaux, à partir de découpes, d’embossages, d’estampages et de matières qui élabore tout un monde que chacun peut s’approprier, alice la première

la merveille de l’exposition est aussi d’exposer le graphisme, et 2 parmi ses plus talentueux représentants contemporains, dans l’un des espaces d’expositions les plus sophistiqués de la capitale et, ce faisant, de lui donner une lisibilité, une reconnaissance et un écho rarement portés

la question posée par l’exposition est aussi celle de la montrance du design, son efficience et son projet

quel est l’espace idoine pour montrer le design et quel est le projet de l’exposition ? le design relève-t’il de l’art décoratif ou de l’industrie et de la science ? l’espace pour l’exposer relève-t’il de la galerie, du musée ou de la cité ? l’intention de l’exposition est t’elle de faire découvrir, de faire rêver ou de faire vendre ? le design est-il décoratif ou efficace ? comment la marque peut-elle intégrer le design dans son développement économique ?

antoine et manuel apportent une partie de la réponse, partagée avec dominique blanc et christian biecher

les principaux clients d’antoine et manuel, ceux qui leur donnent des bons de commande, leur permettent de développer leur talent et d’assurer à la fin de chaque mois leurs salaires, leurs charges sociales, ceux de leurs assistants et leurs loyers sont christian lacroix, la collection lambert à avignon, la comédie de clermont-ferrand, le festival d’uzès danse

chacun d’entre nous qui a eu la chance, un jour, un mois, un an de travailler avec christian lacroix, qu’il soit photographe, styliste, graphiste ou accordéoniste s’arrête de respirer 3 secondes à chaque fois qu’il prononce son nom / la pertinence, l’intelligence, l’intuition et la confiance qu’il donne, qu’il répand sur chaque projet auquel il participe relève du rêve intégral

ceci posé, les univers de christian lacroix, ceux d’un festival de danse et d’une galerie à avignon ne rencontrent pas les mêmes contraintes que des linéaires de supermarché, des retours sur image à moins de 2 mois et des pressions économiques qui sont parts essentielles des cahiers des charges des marques qui investissent dans le design et exigent un retour sur investissement quick


dominique blanc, au théâtre de nanterre le mois dernier, nous a posé la même question / mise en scène par patrice chéreau, dominique blanc interprétait la douleur, de marguerite duras
qu’était le spectacle que nous venions rencontrer : marguerite duras, auteur, interprétée par dominique blanc, actrice ou dominique blanc qui interprétait le texte de marguerite duras ?

quel est l’auteur, quel est l’interprète ? quel est le flacon, quel est le parfum ?
quelle est la place première du design sur le marché ? culturelle ou économique ? quel est son lieu d’exposition prioritaire : beaubourg ou la cité des sciences ?
quel est son media premier : beaux arts ou intra muros ?

christian biecher nous apporte, lui aussi, sa réponse / en confiant à cristina mozorri la conception graphique de son catalogue christian biecher architecte, il construit un équilibre efficient : la marque christian biecher est auteur, c’est elle le cœur du projet, c’est son parfum, son suc élaboré, construit et mis en majesté par le talent, la grâce et l’élégance de cristina morozzi, directrice artistique

la difficulté essentielle du design, et aussi sa gloire quand ça marche, est sa pertinence de savoir construire l’équilibre qui permette à la marque de s’inscrire dans l’innovation, à la fois par le mouvement et par le partage réparti des spots


antoine+manuel graphiste et designer / les arts décoratifs paris 107 rue de rivoli / jusqu’au 12 avril
christian biecher architecte / ante prima éditions / 29.00 euros

lundi 19 janvier 2009

l’air du temps / didier saco


la vertu du temps est son rythme, que chacun perçoit, à son aune, parfois lent, parfois immobile, parfois fulgurant et que les signes que nous créons marquent, comme des cailloux blancs

la campagne d’eurodisney, avec en visuel majeur picsou, tenant par la main l’un de ses neveux, riri ou loulou, et actuellement sur les murs du métro parisien, est full de sens sur la relativité du temps et sur les liens de nos recherches et de nos projets avec la morale, avec la stratégie et avec le marketing

l’affiche d’eurodisney eût été impossible il y a moins de 6 mois / outreau passé, toutes les associations de protection de l’enfance se seraient érigées contre le visuel de ce senior entrainant sur un chemin par la main un innocent de moins de 12 ans / la cote de david hamilton a fait les frais de ces campagnes d’informations
mais, en 3 mois, la crise financière et la perte de 64% des actifs boursiers ont déplacé le curseur de la morale et des priorités des axes de communication

de même, le choix de l’oncle picsou est signifiant des valeurs de l’air du temps / l’oncle picsou n’a jamais été un héros / au contraire, picsou représentait l’avarice qui, jusqu’à ce jour, n’était pas une vertu
mais crise financière et économies contraintes déplacent elles aussi les valeurs morales et ce qui était hier défiance et défaut deviennent aujourd’hui, pour des raisons commerciales, modèles et vertus


le dire des communautés régionales, italienne, belge, allemande, américaine et française à propos de leur implication dans l’activité design est aussi full de sens / après des années de labeur, le design commence à prendre sa place et à être reconnu par les politiques comme acteur économique majeur / sa reconnaissance, dont chacun d’entre nous est à la fois acteur et bénéficiaire, implique aussi un effort supplémentaire de notre part pour rendre nos projets, nos recherches et nos réalisations implicables
implicables, cela peut vouloir dire plus de temps consacré à la communication, à l’explication, à la pédagogie sur nos formations, nos sources, nos relais et nos méthodes de travail


le travail réalisé par rafael de garay sur l’art et le marketing est aussi full de sens pour nos métiers
en quelques dix ans, l’art contemporain, celui qui est en train de se faire, a su gagner l’intérêt du public / le marché de l’art a perdu son caractère élististe et étroit, les classifications assurées et restreintes ont disparu et donné place à de multiples expressions / figuratives, religieuses, baroques, kitsch, ultra réalistes ou symboliques, les amateurs d’art sont de plus en plus nombreux, plus jeunes et viennent d’horizons plus vastes et les rencontres avec l’art / foires, salons, et expositions se sont multipliés

ce travail / car c’en est un / de mise en orbite de connaissances de l’activité n’est en rien le fait du hasard ou simplement circonstanciel : il est le fruit de techniques et de méthodes et professionnelles autour d’une activité : le marketing
le marketing relève, en fait, de techniques de management, de promotion et de diffusion qui, comme toute activité humaine, reposent sur des méthodes, du travail et des résultats : installer un positionnement, défendre une démarche de création, étendre une notoriété, structurer la communication, maîtriser la promotion et négocier afin de prospérer

morale, stratégie et marketing : les 3 fées autour de notre berceau, comme dans la belle au bois dormant / à nous d’être acteur et de bien choisir la couleur de la robe

art et marketing / rafael de garay / ars vivens / 54.00 euros

Tuesday design / anne marie builles


The United States is in need of a redesign.
Dans les jours qui suivront sa prise de fonction à la Maison Blanche, Barack Obama prendra connaissance d’un opuscule rédigé à son attention, à l’initiative de Elizabeth Tunstall. Il édite 10 propositions émanant d’un rapport de 60 propositions issu du National Design Policy Summit qui s’est tenu à Washington les 11 et 12 novembre dernier.
Cet opuscule a été envoyé à tous les membres du congrès, au bureau de la présidence et de la vice-présidence et à toute la haute administration des ministères concernés.

10 propositions pour une politique du design en faveur de la compétitivité économique et de la gouvernance démocratique des Etats Unis :
1 / mettre en place un « American design councill » qui travaillera en partenariat avec le gouvernement américain ;
2 / proposer des lignes directrices pour une meilleure lisibilité, information et facilité d’accès à l’ensemble des communications gouvernementales ;
3 / viser 2030 pour parvenir au bilan carbone neutre dans l’activité de construction ;
4 / créer au sein du ministère du commerce un poste de ministre délégué à la promotion du design et de l’innovation ;
5 / développer des subventions nationales pour soutenir des programmes d’assistance à l’interdisciplinarité de la communauté design fondée sur les principes d’un design au service de l’humain ;
6 / faire réaliser une étude pour évaluer et mesurer la contribution du design à l’économie américaine ;
7 / réactiver la remise annuelle des design awards sur une base stricte d’évaluation selon 3 critères de bénéfice : social, économique et environnemental ;
8 / mettre en place des subventions nationales pour financer la recherche fondamentale en design ;
9 / modifier les procédures de brevets en prenant en compte les différents types de droit de propriété intellectuelle attachés à la création design :
10 / encourager l’investissement direct du gouvernement dans l’innovation design.

Nous pourrions reprendre à notre compte cette parole de campagne de Barack Obama :
« There is no reason we can’t do this »

L’APCI a invité Elizabeth Tunstall à participer à sa 6ème conférence Européenne sur les enjeux de la promotion du design tenue à Paris les 12 et 13 janvier derniers.
Tout le détail des 10 propositions téléchargable sur http://www.designpolicy.org

lundi 12 janvier 2009

L’esprit du lieu / anne-marie builles


La cité de la mode et du design
Ce projet enflamma un temps les esprits de la profession du design. Il se voulait un projet d'avant-garde destiné à accueillir tous les savoir-faire de la mode et du design et à incarner la "french touch", un projet qui relevait autant de l’ingénierie culturelle que d’une vitrine du dynamisme et de l’innovation française.
À ce jour, la déception est grande.
Une première menace s’est insinuée dans la dynamique du projet : l’architecture du lieu. Il s’agissait d’une reconversion d’un bâtiment ancien, les magasins généraux, une architecture d’entrepôts en béton armé, merveilleusement située en bord de seine, l’armature bétonnée fut habilement architecturée et camouflée
Mais il n’appartient pas au lieu de constituer à lui seul le projet qui l’habite.
En revanche, c’est l’articulation même du projet qui aurait permis de se réapproprier le lieu de l’intérieur et de proposer une logique de contenus permettant de qualifier les espaces, de définir des relations entre eux et d’installer une fluidité propice à l’intérêt, à l’attention et l’esprit de découverte que l’on veut susciter
Construire un projet sur les métiers du design et de la création exigeait une réflexion concertée, un questionnement qui aurait permis au fur à mesure de son élaboration d’accéder à la réalité même du projet et de créer un sentiment d’adhésion suffisamment fort pour mobiliser tous les acteurs et parties prenantes au projet.
De cette réalité tangible du projet, rien n’a vraiment filtré, l’intention s’est proclamée « d’audace » et, adoptant le bon vieil adage « big is beautiful », le lieu s’est déclaré Cité de la mode et du design, risquant une nouvelle fois de réanimer les vieilles querelles de territoires qui ont cours dans les métiers du design.
Contraintes financières obligent, il a bien fallu remplir les « cases » de l’espace.
D’un projet qui se voulait le lieu symbole du dynamisme et de l’innovation française en matière de mode et de design, on a dérivé vers un lieu d'activités culturelles, commerciales et de loisirs, le projet design s’est plié à la logique marchande du projet docks en seine.
La marchandisation de la Cité de la Mode et du Design s’est mis en marche avec les mêmes arguments et les mêmes techniques que celles qui font le succès des parcs d’attractions ou des centres commerciaux.
Attirer, distraire, faire consommer le plus grand nombre de visiteurs en usant des bonnes vieilles recettes marketing, une enveloppe attractive, un langage très médiatique et un geste architectural, une signature prestige très vendeuse : l’Institut de la Mode et, en continu, un programme de mise en spectacle du lieu « faire vivre le lieu du matin au soir », une activité nocturne importante……des produits à vendre, des boutiques des cafés, des restaurants…
Rien n’est encore perdu : aux dernières nouvelles, la défection de certains acteurs va permettre à la Mairie de Paris à revoir sa copie.
Dans le même temps un autre projet voit le jour, initié par la Région Ile de France.
« Le lieu du design », cette simple désignation finalement augure bien la démarche appropriée de conception et de mobilisation des acteurs autour d’un projet « à construire ».
« À la croisée de la création, de la conception, de l’innovation sociale et de la prospective, le design mérite d’être placé sur le devant de la scène régionale », un bon début pour l’esprit initial du projet écartant les questions inutilement rebattues : quel lieu, quelle scénographie, pour quel design ?, sur lesquelles les professionnels du design n’ont jamais réussi à se mettre d’accord.

lundi 5 janvier 2009

Le chant du cygne / anne-marie builles


Les marques de luxe ont prospéré sur la rareté qu’elles ont cultivée avec talent et créativité.
Or il arrive parfois que le réel rejoigne la fiction.
Aujourd’hui, nous entrons durablement dans un mode de rareté, le visage et l’esprit du luxe vont s’en trouver profondément ébranlés, jusqu'à vider de son sens si patiemment construit le contenu du mot luxe.
Prémonitoire d’une perte de repères annoncée vient de paraître « luxe oblige » de Jean Noël Kapferer et Vincent Bastien.
En 370 pages, toutes les recettes avérées pour une bonne gouvernance du luxe y sont décrites avec minutie et subtilité, fondamentaux, obligations à remplir et règles de management du luxe ; les recettes semblent imparables, qualité, tradition, sophistication, exception, théâtralisation et barrières d’entrée (prix, rareté, élitisme), les mêmes causes produisant les mêmes effets et puisque le luxe est éternel, il n’y a pas de raison que de si habiles stratégies ne continuent à faire recette.
Pas de luxe sans marques ; en extase d’elles-même, elles sont les gardiennes du temple. Celles qui ont su préserver leurs mythes, souveraines, singulières, sophistiquées,elles campent sur leur olympe.
Miroir, mon beau miroir.
Ce « reflet de soi proposé aux autres ,» cette relation intime qu’elles ont su si habilement entretenir avec leur client, quel sens a-t-il aujourd’hui, au regard du miroir du monde qui s’invite à la fête. Il change à grande vitesse.
Le doute s’est insinué dans l’esprit des auteurs du livre dans les toutes dernières pages de ce meilleur des mondes possible où ils évoquent éthique, respect de l’homme et développement durable, tout en soulignant que marketing traditionnel correspondait jusqu'à peu à un monde d’abondance que nous venons de quitter.

La surpuissance de la galaxie du luxe dicte encore sa loi, mais à trop enfler, elle s’est figée dans ses certitudes et l’on connaît la fin de la fable de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf.
Les grandes marques de luxe vivent désormais en bande, le luxe fonctionne comme les gnous au Kenya, note plaisamment Christian Blanckaert où chacun suit l’autre pour se protéger des prédateurs.

Aucune marque n’est à l’abri du changement, du talent et des idée nouvelles.
Une conception nouvelle du luxe va naître, pense Philippe Starck, associant intelligence, imagination et engagement : « quelque chose qui se base sur la qualité dans les règles de l’art, une vision la plus noble possible, une adéquation entre technologie, éthique et humanité » .
Cela ne s’exprime dans aucun style, cela engendre sa propre esthétique et permet de se dégager des diktats du goût et de la mode.
Ce qui émerge, c’est une expression en perpétuel cours d’élaboration »
Tout est à repenser, le luxe aura besoin des designers.

Luxe oblige
Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer / Eyrolles, éditions d’organisation