mardi 21 septembre 2010
Matière vive / Anne Marie Builles
Circuit Céramique
Le premier art du feu que notre humanité sut maitriser, subtile alchimie de la terre et du feu, l’art de la céramique, est la toute première expression de notre intelligence de la technique, de nos liens secrets à l’imaginaire et au surnaturel.
Une tradition millénaire dont la présence nous est commune, tant elle s’est infiltrée dans nos vies, anonyme, populaire, décorative, utile, associée à tous les usages de la vie.
Circuits Céramique aux Arts Décoratifs à Paris, la scène contemporaine française, un parcours autant qu’une exposition, à rebours d’une approche souvent trop conceptuelle de l’art contemporain pour découvrir ce que, parfois, nous ne savons plus percevoir, les forces vives qui inspirent l’expérience des matières, le geste, la longue patience du travail et modelage de la matière et les techniques de ses multiples transformations.
Les mystères de cet art de terre et de feu ont toujours frappé les esprits en ce qu’ils témoignent si familièrement, de nos savoir-faire dans la grande et petite histoire du quotidien et, comme le rappelle Frédéric Bodet, « du rapport obsessionnel que l’homme entretient depuis toujours avec l’objet céramique ou avec l’argile à l’état brut ».
Qui n’a pas le souvenir effrayé et fasciné de ce qu’il en coûta à Bernard Palissy pour en percer tous les secrets ?
Aussi, tout n’est pas si calme qu’il y paraît dans le « jeu de piste » découverte des œuvres de jeunes et talents plus confirmés que nous propose Frédéric Bodet.
Frédéric Bodet a choisi de nous troubler, illustrant cette célèbre parole de René Char « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience ».
Troublante étrangeté en effet que cet itinéraire qui force la patience du regard quand surgissent ça et là, dans le bel ordonnancement d’apparat des grandes scènes de style, des œuvres « objets » fortes qui portent, dans l’expressivité de la matière, l’écho puissant des flux d’énergie et d’inquiétudes qui parcourent notre monde instable.
Cette mise en contrepoint du circuit céramique dans le cours de la grande tradition des arts décoratifs impressionne par l’intelligence sensible d’ajustement au décor d’œuvres aux techniques et mode d’expression si divers de la céramique, modelage, tournage émaillage, process de cuisson.
Frédéric Bodet joue parfaitement le jeu de « l’objet revisité par le décor » selon une partition étonnante de coups d’éclairs furtifs dans le monde feutré des grandes scènes de style, jouant tantôt la mise en affinité subtile des matières, lignes et nuances, tantôt la dramatisation intrusive d’œuvres radicales.
En contraste de ce grand décor, toutes témoignent par leur énergie créative d’un autre temps du monde et d’un « autre âge du monde ».
Tradition légère et raffinée ou choc violent d’un « artisanat furieux », œuvres étonnantes, déroutantes, conceptuelles parfois et toujours animées de « forces vives » et stimulantes et d’un questionnement passionné des potentiels inouïs d’une matière et de ses techniques de prise de forme.
Comment évolueront ces parcours de créateurs atypiques, à la croisée des arts plastiques, du design et de la pratique artisanale, ces formidable énergies d‘imaginaires, de parti-pris formalistes parfois convenus, « passage ou vocation » s’interroge Frédéric Bodet, commissaire de l’exposition ?
Garderont-il la flamme, rejoindront-ils ces jeunes artistes de la scène française par un long travail solitaire d’approfondissement et d’appropriation de la matière, cette « ferveur » que l’on retouve avec émotion chez « les maitres » venus d’Europe ou du monde (et toujours le Japon ) qui s’exposent en même temps, dans le cadre de cette grande manifestation, à la Cité de la Céramique de Sèvres et dans de nombreuses galeries à Paris.
www.circuits-ceramiques.fr /
Illustration Jean-François Fouilhoux : Calligraphies d'argile. Galerie Hélène Porée
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