mardi 8 novembre 2011
le noir et le design / didier saco
michel pastoureau a mené en 1993 une étude sur les rapports entre la couleur et le design, des années 1880 à la fin du 20ème siècle, destinée au catalogue de l’exposition design, miroir du siècle au grand palais à paris organisée par l’apci
à partir de cette étude, ce qui frappe lorsque l’on regarde les objets domestiques produits en grande série à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème est l’uniformité de leur palette / presque toutes les couleurs s’inscrivent dans une gamme noir-gris-blanc-beige, et les couleurs vives sont rares
non pour des raisons techniques / à partir de 1860, l’homme européen peut parfaitement fabriquer de façon industrielle et multiplier les nuances qu’il a choisies / mais pour des raisons éthiques
si les premiers appareils ménagers, les premiers stylographes, les premiers téléphones, les premières voitures sont noir, gris, blanc ou brun et non orange, rouge vif ou jaune citron, les raisons sont avant tout morales /
pour la société industrielle du 19ème finissant, les couleurs vives qui attirent l’œil et captent l’attention sont des couleurs indécentes à utiliser avec parcimonie, alors que les couleurs plus neutres, plus sobres, celles qui relèvent de la gamme des gris et des bruns ou de l’univers du noir et du blanc sont jugées dignes et vertueuses : il faut les produire en masse
c’est aussi ce que dit l’administration des hôpitaux
“drapée dans une haute autorité morale” : au moment où la nouvelle administration des hospices civils cherche à instituer et imposer le port des uniformes, le noir s’impose : il marque d’une part l’autorité / directeurs et médecins, qui seront “en habit” et surveillantes, et l’effacement d’autre part / infirmières et serviteurs / autrement dit la haute respectabilité de l’institution
et c’est l’ère du pastorisme / l’apprentissage du vêtement bouilli pour tuer les microbes / qui verra disparaître le noir en milieu hospitalier au profit du blanc jusqu’aux années 1980 où le code couleur évolue et permet de différencier les services / salles d’opération, radiologie
le designer au début du 21ème siècle a 2 fossés dans lesquels il doit en permanence éviter de verser :
- le premier est le débat avec l’ingénieur qui, encore aujourd’hui dans de très nombreuses entreprises, s’oppose au designer en expliquant que l’usage est plus important que la fonction et que l’objectif premier de l’objet est de servir le plus longtemps possible /
le débat sur la couleur n’y a pas sa place et l’exemple parfait est la marque anglaise dyson, portée par un ingénieur autour de la fonction et où la couleur / le jaune / n’a qu’une seule fonction : être déclinée à l’identique sur tous les produits pour reconnaissance immédiate sur les linéaires
- le second est le débat avec l’univers de la décoration / depuis 10 ans et face à la décrue de l’intérêt vers la mode, l’attention s’est portée vers le design, en substitut mais avec le même objectif : faire joli, avec les dérives, bien sûr, que le joli, construit à base de formes, de matières et de couleurs, prenne le pas sur la fonction
face à ces 2 écueils, le travail du designer avec la couleur est de lui donner un message fonctionnel / quelle est la fonction du bleu, du blanc, du rose et noir, en dépassant les postures classiques : ce qui relève de l’eau est bleu, de la nature full vert, du soleil total orange et de la nuit deep noir
pour installer son autorité face à l’ingénieur, au décorateur et au chef d’entreprise qui hésite à investir en design / 2011 sera la première année où le design management sera enseigné à sciences-po / le designer choisit le noir
en choisissant la couleur de l’austérité, de la religion, de la tempérance, de l’élégance et de la modernité, le designer inscrit et accrédite ses recherches basées sur la culture, la curiosité et l’intuition et oppose aux critiques possibles de l’ingénieur, de l’aléa et du financier la couleur de la profondeur
à l’instar du photographe, de l’opérateur de cinéma et des arts de la scène qui partent du noir et, à l’aide de diverses sources de lumières artificielles, fabriquent la lumière, la construisent en fonction de la scène à éclairer, à l’opposé du peintre qui commence par la toile blanche, le designer construit son récit à partir d’intentions, de besoins, de projets et de solutions avec le noir pour l’inscrire dans une histoire déjà initiée
tout en même temps, le choix du noir est aussi extrême orgueil
“je suis le mari de jackie” déclare john fitzgerald kennedy au général de gaulle lors de sa visite en france en 1961
en choisissant le noir, le designer, comme jfk, installe l’idée de l’évidence et de la pertinence absolue de son travail / nul besoin d’explication, de développement et de note d’intentions / son travail, comme l’identité du président, se drape d’effacement tout en se prévalant de totale certitude
d’autres couleurs portent nos travaux, et d’autres combats sur la couleur sont encore à mener / l’ironie et la désinvolture rencontrées par matali crasset sur son travail avec les couleurs lors d’un entretien radio récent par l’une des plus importantes journalistes françaises laissent interdit
yann kersalé / sept fois plus à l’ouest / sept installations de recherche lumière-matière / exposition espace fondation edf paris jusqu’au 04 03 12
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire