la ville est laboratoire et nous permet à tout instant, à travers nos circulations, d’être spectateur du monde qui change
c’est ce que nous dit la comparaison entre deux immeubles de logements sociaux que le hasard, s’il existe, a construit à Paris à cinquante mètres d’écart, l’un livré dans les années 70 et l’autre en 2010
l’un dit la construction dans l’urgence et l’idée qu’un bâtiment dédié aux logements sociaux devait être dans l’économie de formes, de couleurs et d’espaces, et l’autre dit la prise en compte par la Ville de la multiplicité de ses habitants et de l’obligation de tout bâtiment, quelle que soit sa destination, à s’inscrire dans l’écriture d’un récit pluriel / Haussmann n’est plus
la comparaison nous dit aussi, et c’est formidable car dépasse le seul terrain de l’architecture et de l’urbanisme, la place de la transparence devenue universelle
quand, dans le bâtiment des années 70, les ouvertures sont étroites, en hauteur et dénuées de tout accès au dehors, celles des années 2010 sont larges, partent du sol et donnent sur des balcons et des terrasses
et ce geste n’est pas anodin et a une implication directe sur leurs habitants qui occultent systématiquement leurs fenêtres de rideaux bien opaques pour les premiers, alors que les seconds en sont totalement dénués et a un impact direct sur le commerce de voilages, en voie de disparition
la ville entourée de remparts appartient à l’histoire et elle marque à présent ses limites par des périphériques et des rocades / quant au mur, il est devenu contraignant et coûteux et n’est plus traité qu’en négatif / parler à un mur, faire le mur ou être au pied du mur
à présent, c’est le verre qui délimite et sépare, sans coupure visuelle, en affirmant la prédominance du regard et le mur plein est associé au caché, à la dissimulation, au sale, à l’impur et à la source d’angoisse : qu’y a t’il derrière le mur, quelle menace ?
la transparence est associée à la sécurité, en permettant de pouvoir tout balayer d’un seul coup d’œil grâce à la caméra qui délimite un lieu sans barrer l’espace et installe un contrôle discret et interactif, en contribuant à notre quiétude, et en nous faisant abandonner, hélas, la beauté de l’ombre que savent créer les orientaux dans des endroits insignifiants, tels décrits dans l’éloge de l’ombre selon Junichiro Tanizaki
la transparence dit aussi la surveillance / la surveillance des autres à travers les espaces ouverts, où chaque personne bénéficie à présent de 7 à 10 m2, et 4.5 m2 en centres d’appels / la transparence des espaces a plusieurs effets / elle rend visibles les processus, accélère la taylorisation, empêche toute intimité et renvoie les individus à leur propre transparence, tout comme la surveillance des personnels de restaurants par les clients, à travers les parois de verre qui donnent sur les cuisines, soit la gestion par le regard
et la transparence impose l’épure
face aux bureaux paysagers que nul ne peut plus contester, compte tenu du prix de l’immobilier, 2ème poste de dépenses des entreprises après les salaires, face à la mise en scène de soi et la fin de l’intimité et à la transparence devenue règle absolue en urbanisme, en architecture et en aménagement d’espaces, l’épure est nécessaire
l’épure, pour le designer, c’est la recherche de la connivence avec la transparence / la connivence, c’est le travail livré par Pierre Riboulet pour la médiathèque de Limoges dans un quartier réputé difficile, magnifique bâtiment blanc sans nul grillage ni revêtement de béton granuleux anti-graffiti
la connivence, c’est le magnifique travail des designers Dejoie et cie et Anoxa, présenté à l’observeur du design à Paris qui ont livré à La Poste les nouvelles boites aux lettres, juste rien, où le seul trait de la courbure du capot dit tout, l’affection que nous portons à cet indispensable mobiler, la nécessaire congruence de tout ce qui est lié au social et la douceur que chacune et chacun d’entre nous attend de tout usage partagé
ce fut Daniel Buren qui installa / imposa / la transparence contemporaine à Paris en juin 1986 sur 3 000 m2 au Palais Royal avec son œuvre les deux plateaux, mieux connue sous l’appelation les colonnes, qui lui valut l’opprobre de quelques édiles et medias liés et de devoir attendre 24 ans, jusqu’en janvier 2010, pour être inauguré et entrer dans le patrimoine français, et l’adoption immédiate, dès son installation, par le public
ouvrir de nouveaux horizons, c’est la liberté même / Daniel Buren écrits tome 2 page 451
Élisabeth Pélegrin-Genel / des souris dans un labyrinthe / la découverte / 8.50 euros
éloge de l’ombre / Junichiro Tanizaki / éditions Verdier / 1933 / 16.00 euros
Dejoie et cie et Anoxa / nouvelle gamme de boites aux lettres de La Poste / Observeur du design 13 à la Cité des Sciences et de l’Industrie Paris jusqu’au 24 mars 2013
2 commentaires:
transparence: quand un maire d'une grande ville du littoral breton ne souhaite pas que des habitations récentes apparaissent comme non occupées aux yeux des voyageurs du train qui les longe il fait tout simplement retirer les volets du programme architectural. La transparence de l'habitat comme communication politique vers le voyageur ponctuel au dépit de l'usager permanent du logement
Bonjour
Jolie ode à l'épure et à la connivence.
Une petite amicale remarque, si vous pouviez rendre à César ce qui appartient à César : Dans votre éloge remplacer :
"...c’est le magnifique travail des designers Dejoie et cie et Anoxa....."
Par
"...c’est le magnifique travail du designer Emmanuel Cairo pour Dejoie et cie et Anoxa....."
Je n'en serai que plus flatté.
Cordialement Emmanuel Cairo
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