mardi 16 février 2010

éternels éphémères / didier saco


nos firmaments brillent de ces fulgurances / les chronopes et les fameux, de julio cortazar, jules verne, max ophuls, philippe jullian, louise bourgeois, ettore sottsass, hervé van der straten qui ont perçu, avant tous, l’air du temps et la synthèse de nos émotions et ont su comment les rendre éternelles et universelles

certaines brillent, pour l’éternité, et d’autres s’éteignent, en cours de route, de désespoir

le travail d’alexander macqueen était exceptionnel car il savait, au-delà d’une simple collection de vêtements conçus pour s’habiller et qui respectaient cette fonction, construire tout un univers fantastique et baroque, tourné autour de sorcières, d’animaux empaillés, de loups vivants, de bunnies et inspiré du cinéma, de fables et de légendes
“mes vêtements parlent pour moi”, disait-il en préférant se taire plutôt que de se répandre sur son existence et donner à ses défilés et ses modèles toute sa force et ses idées

nul ne connaitra les raisons de son départ, qui relèvent du strict privé, mais chacun d’entre nous s’est senti brutalement privé d’air, le temps d’une respiration, en l’apprenant, car toute source de création qui s’éteint, violemment, rend orphelin et affaiblit tout le cercle des idées, des forces et des énergies qui se booste en flux continu


l’époque est rude pour la création, la posture rétive à tout changement, de forme, d’usage, de méthode se multiplie et les obstacles qui se dressent devant l’innovation s’amoncèlent


bien sûr, la création doit s’intégrer dans un modèle économique et, bien sûr, les industriels ne sont pas des mécènes en charge de subventionner des designers à perte / bien au contraire, leur but, stimulé par leurs actionnaires, est la rentabilité et leur fonction de savoir stimuler la création pour qu’elle devienne source de profits

il faut juste du temps au temps, celui de l’éphémère pour devenir celui de l’éternel
certains pays, comme la belgique, encourage la création design auprès des pme en prenant 50% des frais de recherches design pendant 6 mois
certaines marques exposent, à leurs frais et dans leurs espaces, certains designers et leurs travaux de recherches, pour les encourager
certains designers, comme annett janowiak, designer allemande, ont pris le parti pris, toute leur vie, de l’innovation comme fil unique de vie
annett janowiak crée des univers à partir du sucre, de la toile, du papier, du papillon, de l’assiette en carton à partir desquels elle construit des décors, des expositions, des circulations, des espaces
son travail sur la matière éphémère comme support majeur de son travail relève en priorité du rapport de chacun d’entre nous à son environnement / à quoi sert le papier, le lait, le carton, comment s’inscrivent ces éléments dans nos usages au quotidien et comment les regarder et les user différemment

chacun d’entre nous sait combien l’éphémère, le sensible et le perceptible sont essentiels / la tentation de l’urgence, du plus rapide et du moins cher est très présente et s’entend, à chaque instant, face aux marchés internationaux / le travail d’annett janowiak, comme celui de nombre d’entre nous, actuels et passés, sont autant d’inspirations pour ouvrir des voies et installer l’éphémère au même rang que l’éternel

annett janowiak / interior styling / decoration / products / annettjanowiak.com
formidable

« Commune présence » / Pierre Soulages / Anne Marie-Builles


« Hâte-toi de transmettre » dit René Char dans son célèbre poème « commune présence ».

C’est bien l’esprit du passeur qui guide toute l’œuvre de Pierre Soulages, dont une centaine de toiles sont présentées actuellement au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 8 mars prochain ; passeur d’une commune présence de l’art d’une expérience poétique où se joue pour celui qui demeure seul devant la toile, quelque chose qui tient à sa vérité, « ce qui échappe aux mots, ce qui se trouve au plus obscur, au plus secret d’une peinture, c’est ce qui m’intéresse ».
Un art sans présence, c’est de la décoration, dit-il.
Rares sont les œuvres qui se tiennent ainsi en permanence sur le fil tendu du désir. Désir de faire, de transmettre et exigence d’offrir chaque toile « au présent du regard ».

Son ami Pierre Encrevé note à son propos : « peindre, c’est croire passionnément, avec un désir inentamé, que la rencontre de la pâte pigmentée et du projectible lui procurera l’occasion d’émotions intenses et toujours neuves ».
Soulages ne nous délivre aucun message et ne prétend nullement à l’ineffable ; juste engager notre regard dans le silence et « la tension de ce qui advient ».
Pas de sens caché dans la présence de l’œuvre mais l’engagement dans une expérience humaine totale. À chacun de décider du sens qui ne cesse de se faire et se défaire sur la toile.,
Tout mon travail dit-il, naît de séries d’impulsions successives qui viennent d’une nécessité profonde.
Il n’y a rien à ajouter, à expliquer, pas de sens caché, pas de parcours orienté, son propos célèbre au regard d’un autre propos : « c’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » donne le ton de sa liberté de regard et de son engagement total dans l’expérience de la matérialité de la toile.

Nécessité d’imprimer gestes et traces dans la lumière de la matière, un travail de transformation « dans la progression, des étapes, des solutions qui se présentent au cours de mon travail, il n’y a pas une couleur, dit-il, il n’y a que des supports ».
Le noir pourtant. Pourquoi le noir ? « parce que ».
Du noir, Soulages aime la gravité, l’évidence, la radicalité.
Parcours d’une fidélité absolue à soi-même, liberté totale qu’il se donne d’aller jusqu’au bout du défi de la monochromie et de l’épurement de la lumière.
Et plus loin encore, jusqu'à son effacement, dans ce qu’il nomme « outre noir », moment d’un au-delà du noir, où gestes puissants, traces et vibrations ombre et lumière travaillent la matière de la toile.
Le propos du journal Libération -année 86 -n’a rien perdu de son actualité :« Le noir de Soulages dit simplement qu’à présent, il est temps de commencer à voir ».

Actualité Soulages à la cité de l’architecture qui présente la maquette du futur projet architectural du musée Soulages de Rodez (agence catalane RCR) qui exprime si parfaitement le propos de Pierre Encrevé sur le choc « d’une peinture qui fait mur et non fenêtre ».
Il faut aller voir l’admirable travail de Soulages sur les vitraux de l’Eglise Abbatiale de Conques, une étape majeure dans sa recherche sur l’intériorité et la transmutation de la lumière .

mardi 9 février 2010

des formes et des couleurs / didier saco


bruno munari, comme chacun se souvient, fait partie de ce parthénon de créateurs du 20ème siècle, avec le corbusier, parent, cardin, courrèges, paulin qui ont consacré leur vie à créer, à partir d’une source / l’architecture, la mode, le design / un monde entier, issu de leur imaginaire et qui dépasse leur métier premier

munari, c’est le livre
et bruno munari n’a pas fait que des livres / le champ entier des possibilités artistiques, peinture, sculpture, design, graphisme, didactique, poésie, écriture, photographie, cinéma, spectacle l’a interessé et mis à l’épreuve

le livre illustré, le livre d’artiste, le livre thérorique et pédagogique et le livre illisible lui ont permis d’élargir au maximum l’idée même du livre, en étirant ses possibilités d’utilisation / formats, papiers, découpes, reliures, couvertures, illustrations, couleurs : le livre est, pour bruno munari, le territoire de ses recherches, à la fois comme une succession d’œuvres uniques et comme une fresque réalisée sur une durée de 60 ans de création

les formes conçues et développées par bruno munari / alphabet, dictionnaire, livres pour enfant / décollent du rationnel et du rayonnage et prennent pied immédiat avec l’imaginaire et les nuages

quant aux couleurs, elles font partie, comme les formes et les matériaux, des fondamentaux de nos métiers et sont, pour les marques, partie essentielle des signes visuels de leur existence, de leur communication et de leur reconnaissance / orange pour hermès, rouge pour ferrari, céladon pour bernardaud, blanc pour carita et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour apple

nul d’entre nous ne peut avoir l’audace de prétendre pouvoir changer la vie tout seul et renverser le cours de la depressed qui nous environne
néanmoins, les designers sont des hérauts et, si nous ne changeons pas la face du monde chaque jour, nous y participons, un peu, à notre échelle, en en facilitant l’usage

usons alors de notre impact face au monde entier, chaque jour, chaque matin, devant notre vestiaire, en choisissant notre dress code
la vision, en un coup d’œil transversal, des quais de métro, des sorties de collèges et de nos réunions de travail, dominées par une seule et unique couleur, le noir, devient impossible

bien sûr, le noir est chic, bien sûr, c’est la couleur favorite des architectes et, bien sûr, pour didier grumbach, président de la fédération française de la couture : “la petite robe noire intemporelle et multifonctionnelle est à la parisienne ce que le jean est à l’américaine”

nos métiers d’innovation, de recherches et de prospectives peuvent aussi se traduire, chaque matin, par un choix, celui des couleurs, toutes celles de l’arc-en-ciel et de nos nuanciers et de nos intentions de changer, de porter des énergies et de vouloir les transmettre

giorgio maffei / les livres de bruno munari / les trois ourses / 42.00 euros
didier grumbach / histoires de la mode / éditions du regard / 37.00 euros

Claude Parent / L’architecture en mouvement / Anne-Marie Builles


Et si la riche programmation de la cité del’architecture et du patrimoine nous incitait à penser qu’une popularisation de l’architecture est enfin en marche ?
La crise celle qui veut se donner de nouvelles armes et décider d’un autre sens du futur trouve évidemment dans l’architecture sa matière d’élection et nous laisse entrevoir enfin la possibilité de réinventer et de partager une autre vision et une autre politique du développement durable, de l’architecture et de l’urbanisme

On dit qu’Il faut plus d’une génération pour que certaines idées visionnaires ou simplement avant gardistes trouvent résonnance dans nos mentalités.
On imagine bien aujourd’hui la jubilation espiègle de Claude Parent devant les affiches du métro parisien annonçant la superbe exposition monographique,qui lui est consacrée à la cité
Peu lui importe le caractère tardif de ce soudain retour en lumière, lui qui œuvra toujours à la marge et qui placardait dans le Paris des années soixante sur les panneaux publicitaires des Champs Elysées de surprenants manifestes du genre :« Demain ,vous vivrez dans des architectures qui seront comme des océans pétrifiés »

Etonnant parcours que celui de Claude Parent, débuts délibérément « à l’oblique » d’un esprit libre, subversif et passionné qui décida de se forger son propre esprit critique quand « il ne trouva pas la parole qu’il attendait à l’école d’architecture »
Il faut une certaine audace pour commencer à construire sans diplôme, et parce qu’il aime aussi les idées des autres, Claude Parent puisera toute l’énergie d’une parole personnelle et intempestive à l’occasion des belles rencontres qui vont jalonner sa vie, André Bloc créateur de la revue mythique d’architecture d’aujourd’hui qui l’amènera à rejoindre le groupe espaces, artistes de théâtre, peintres et sculpteurs, les artistes de l’abstraction géométrique,Yve klein,Tinguely et, bien sûr, celui qui sera son complice sur la fonction oblique : Paul Virilio.

Chaque rencontre sera prétexte à porter, illustrer et expérimenter les idées des créateurs à l’épreuve de sa conception de l’espace.
Pourfendeurs de l’esprit orthogonal qui nous enferme, Claude Parent et Paul Virilio proposeront, théoriseront et réaliseront, avec la fonction oblique, un autre rapport dynamique à l’espace (l’Eglise Sainte Bernadette-du-Banley)

Ouvrir l’espace, créer un élan, expérimenter un autre rapport dynamique à notre corps ,« mettre l’homme en mouvement » telle est la mission de l’architecture, pour Claude Parent« il ne s’agit pas de rester dans un enclos, alors que le monde est à vous et que vous pouvez le parcourir ».

Parent le visionnaire n’attendra pas les technologies numériques pour s’inspirer de l’esprit de déconstruction et projeter dans ses magnifiques œuvres graphiques,formes organiques et espaces urbains à l’oblique, sortes de villes-ponts jetées vers d’infinis imaginaires.
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour découvrir chez les architectes d’aujourd’hui toute l’influence et la richesse des idées de Claude Parent. En témoigne très récemment la réalisation architecturale de l’Opéra d’Oslo-Prix Européen d’Architecture 2009.

Le message de Claude Parent
« Ne pas craindre de se mettre en position de risque, c’est cela la clef » dit-il
«Savoir se donner sa propre contradiction dans une œuvre.»
« On ne peut pas être un architecte si l’on n’a pas un positionnement critique permanent sur ce que l’on fait, sur ce que les autres font et sur ce que l’époque veut faire. Çela peut coûter très cher (aveu en toute connaissance de cause) mais c’est très enrichissant. En dehors de cela, vous tombez dans l’esprit de système, et l’esprit de système est toujours plus fort que vous »

Gageons qu’au contact de son œuvre exemplaire, à l’aube des profonds changements qu’elles pressentent, les nouvelles générations d’architectes se fortifieront à l’idée qu’elles ont toutes un peu de Parent en elles.

"Claude Parent, œuvre construite, œuvre graphique" 

Exposition du 20 janvier au 2 mai 2010
Cité de l'architecture et du patrimoine
A lire absolument :Colères et passion Claude Parent / le Moniteur
A voir absolument : la conférence Parent /Virilio, grandes conférences, film réalisé par Gilles Coudert

lundi 1 février 2010

design et équilibre / didier saco


design décoratif, expressif, minimal géométrique, biomorphique, néopop, conceptuel, néo-dada/surréaliste, néodécoratif : chacun essaie de caser le design, selon ses affinités et ses proximités, ses histoires et ses projets

au-delà des cases, des formes et des appelations, l’essentiel nécessaire à tout projet design, qu’il soit industriel, produit, graphique ou de service est l’équilibre

l’équilibre, c’est le temps nécessaire à la validation de l’idée et de l’intuition
l’équilibre, c’est l’installation de l’idée dans le réel et la confrontation nécessaire du projet avec le marché
l’équilibre, c’est ce qui fait qu’un projet est juste, pertinent et efficient et qu’il marche


la réduction du temps imparti à la création, aux études et aux tests, liée souvent à l’implication des actionnaires qui demandent aux marques des retours sur investissements à 3 mois, soit des délais extrèmement courts pour concevoir, tester et lancer sur les marchés, limite le temps de l’analyse, indispensable pour valider l’idée

en même temps, le développement de nouvelles méthodes de conception et de fabrication, les procédés de moulage par soufflage, par rotation et sous vide, de même que le prototypage rapide, nous permettent de concevoir plus simplement

accompagner le projet durant sa fabrication, si lointaine soit-elle, due à la mondialisation et durant sa distribution est indispensable pour en garantir l’équilibre
c’est quand le produit est commercialisé, quand le logotype est en drapeau, quand la scénographie est installée, quand le packaging est sur linéaires et que le site est en ligne que se construit l’équilibre, entre l’intention de la création, les contraintes de la marque et les réalités du marché, ses besoins, ses attentes et ses désirs

la possibilité de pouvoir intervenir, non plus seulement à la source, mais en cours et après livraison, doit être prévue dès la conception de tout projet : c’est la provision, dans tout budget de création, de la rémunération nécessaire à l’analyse des étapes passées, de l’évolution des marchés et des échos, de la presse, de la concurrence, des forces de vente et des publics

combien de projets sont demeurés au bord de l’eau, combien de mobiliers restés prototypes, combien de lancements ajournés, par manque de temps pour comprendre, ajuster, enrichir, développer, équilibrer et, parfois, recommencer

ce temps est celui de la réflexion pour écouter, comprendre, analyser et pouvoir modifier une forme, un angle, une matière, une couleur, un mot, une circulation
ce temps-là est aussi important que celui de la création pour assurer la pertinence, l’impact et le succès

l’équilibre, c’est l’intégration des flux, des opinions, des blogs, des mutations rapides des comportements qui interviennent dans l’évolution des projets et doivent pouvoir être partie prenante et constante
la technologie nous le permet / permettons à la conception d’être de tous les feux et toutes les étapes des projets, et non pas la seule première ligne des budgets


quant à la définition de l’équilibre, elle relève de chacun d’entre nous / cela peut être toute une vie, toute une œuvre consacrée à une idée, un fil rouge / pour claude parent, architecte, c’est la fonction oblique, niveau par niveau, qui permet l’élévation dans la continuité du parcours et efface toute construction en hauteur, pour bernard venet, c’est la courbe et pour peter knapp, c’est la photographie, de l’art plastique à la direction artistique de elle et aux arts appliqués

peter knapp à la galerie guillaume jusqu’au 13 03 / avant l’infini, 32 rue de penthièvre paris 8